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Par douceuretdetente, le 01.10.2025
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Par saperlipopette87, le 30.09.2025
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Par Luce/Joly, le 30.09.2025
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Par Luce/Joly, le 30.09.2025
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Date de création : 13.06.2011
Dernière mise à jour :
01.10.2025
11878 articles
Sandrine Collette, née en 1970 à Paris, est une romancière française
Sandrine Collette passe un bac littéraire puis un master en philosophie et un doctorat en science politique.
En 1999, elle soutient une thèse intitulée : De la loterie nationale à la française des jeux (1933-1998) : contribution à une sociologie de l'état moderne.
Elle devient chargée de cours à l'université de Nanterre, travaille à mi-temps comme consultante dans un bureau de conseil en ressources humaines et restaure des maisons en Champagne puis dans le Morvan.
Elle décide de composer une fiction et sur les conseils d’une amie, elle adresse son manuscrit aux éditions Denoël, décidées à relancer, après de longues années de silence, la collection « Sueurs froides », qui publia Boileau-Narcejac et Sébastien Japrisot.
Il s’agit Des nœuds d'acier, publié en 2013 et qui obtiendra le grand prix de littérature policière ainsi que le Prix littéraire des lycéens et apprentis de Bourgogne.
Le roman raconte l'histoire d'un prisonnier libéré qui se retrouve piégé et enfermé par deux frères pour devenir leur esclave.
Elle se consacre alors à l'écriture et s'installe à La Comelle, village du Morvan d'où elle est originaire et dont elle devient conseillère municipale.
En 2014, Sandrine Collette publie son second roman : Un vent de cendres (chez Denoël). Le roman commence par un tragique accident de voiture et se poursuit, des années plus tard, pendant les vendanges en Champagne.
Le roman revisite le conte La Belle et la Bête.
Pour la revue Lire, « les réussites successives Des nœuds d'acier et d'Un vent de cendres n'étaient donc pas un coup du hasard : Sandrine Collette est bel et bien devenue l'un des grands noms du thriller français.
Une fois encore, elle montre son savoir-faire imparable dans Six fourmis blanches ».
Thèmes et références
Sandrine Collette aime la campagne profonde, la forêt, la montagne, les vignes. Tout naturellement, elle aime situer ses intrigues dans un univers rural, même si son petit polar Une brume si légère, est exceptionnellement urbain.
La romancière part toujours d’une image qui lui permettra de dérouler le fil de sa fiction.
Ses références vont de Luis Sepulveda à Marguerite Duras ou Paulo Coelho.
L'histoire :
Ce soir-là, quand Liam rentre des forêts montagneuses où il est parti chasser, il devine aussitôt qu’il s’est passé quelque chose.
Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l’attend pas devant la maison.
Dans la cour, il découvre les empreintes d’un ours.
À côté, sous le corps inerte de sa femme, il trouve son fils.
Vivant.
Au milieu de son existence qui s’effondre, Liam a une certitude.
Ce monde sauvage n’est pas fait pour un enfant.
Décidé à confier son fils à d’autres que lui, il prépare un long voyage au rythme du pas des chevaux.
Mais dans ces profondeurs, nul ne sait ce qui peut advenir.
Encore moins un homme fou de rage et de douleur accompagné d’un enfant terrifié.
Dans la lignée de Et toujours les Forêts, Sandrine Collette plonge son lecteur au sein d’une nature aussi écrasante qu’indifférente à l’humain.
Au fil de ces pages sublimes, elle interroge l’instinct paternel et le prix d’une possible renaissance.
Photo du net
Critiques
« Magnifique, de concision, d’émotion brute. Entre western et variation écolo, un livre puissant qui vient questionner l’instinct paternel. »
Madame Figaro
« Un roman saisissant qui questionne avec maestria les rapports père/fils. »
Paris Match
« Somptueux. » Version Femina
« Sandrine Collette raconte avec brio la puissance de la nature et la fragilité de l’amour. »
Point de vue
« La grande odyssée fauve de la rentrée. Superbe. »
Le Point
« Une chevauchée qui prend aux tripes. Magnétique. »
L'Obs
« Un western des temps modernes. »
Le JDD
« Le talent de Sandrine Collette pour dire l’enfance perdue et la beauté âpre d'une nature où l’homme ne semble pas avoir sa place. »
Lire le Magazine Littéraire
« Une merveille. »
Femme Actuelle
« Rester humain est un combat de chaque instant. »
Le Figaro littéraire
« On reste sidérés par la maîtrise de Sandrine Collette, aussi apte à camper la nature qu'à décrypter la complexité des relations humaines. »
L'Express
« Un roman qui se dévore à vif. Magistral »
Le Parisien
« De tous les livres de la rentrée c’est celui que j’ai dévoré d’une traite, impossible à lâcher ! Il est exceptionnel »
Bernard Lehut, RTL
« Un roman âpre et brutal, mais tellement beau ! »
Le Parisien Week-End
« Si On était des loups est un roman audacieux, il est surtout bouleversant ; il vous emmènera ailleurs, dans des contrées inconnues, là où se cache le cœur d’un homme enfin prêt à accueillir sa part d’humanité. »
Le Figaro Magazine
http://fantazia.centerblog.net/507
EXTRAITS
C’est la nuit je regarde l’enfant qui dort. Un tout petit enfant, il ne sait rien du monde, il ne sait rien faire. Un enfant ce n’est pas fait pour la vie, cette vie-là je veux dire qui est immense et brutale devant lui devant nous.
La vie qui.
Enfin ils n'étaient pas prêts, ils avaient lu des livres et regardé des films et ils s'étaient dit que ce serait formidable de vivre en pleine nature dans un coin perdu comme celui-là mais ils avaient sous-estimé plein de choses et notamment le fait que la nature n était pas forcément heureuse de les voir arriver "tiret" ou du moins qu'elle ne ferait pas lourd pour les aider. Bref ils avaient oublié que la nature c'est marche ou crève, ce n'est pas le soleil les petits oiseaux et des gens mignons autour. Il faut le savoir quand on vient ici sinon ça cogne la tête un jour pas loin.
"C'est pour ça qu'elle ne l'a pas vraiment choisie cette vie, elle m'a suivi c'est tout. On s'aimait comme des fous et ça a aidé pour pas mal de choses. On s'aime toujours même si on a moins à se dire, on s'est tout raconté depuis longtemps et Les journées se Ressemblent trop pour qu'il y ait un truc nouveau à partager. Il y a la fatigue aussi, on a pris des années, surtout moi à pister le gibier. Souvent je pars plusieurs jours avec le gros et quand je rentre je sens bien que j'en ai davantage dans les pattes qu'avant ; je ne suis pas vieux mais ça secoue quand même cette existence-là, je ne dis pas que ça me convient pas simplement ça secoue et Ava elle ne pensait peut-être pas que je serais absent autant, enfin ce que j'en dis.
Peut-être que la nourriture et la maison ça n'était pas assez pour l'occuper, en tout cas quand les jeunes sont partis elle a commencé à parler de cet enfant qu'on pourrait avoir elle et moi et j'ai demandé si elle ne voulait pas plutôt un chien pour la compagnie."
Quand je pensais aux quatre heures de cheval pour aller chez Henry et puis une bonne heure d’avion avant la ville où il y avait le premier hôpital, c’est ça qui me faisait peur, on ne fait pas un gosse dans un endroit comme ça, et si c’était l’hiver même avec les chevaux on n’était pas sûrs d’arriver chez Henry. S’il y avait une urgence – mais les urgences ici ça n’existe pas soit on est vivant soit on est mort il n’y a pas beaucoup d’entre-deux.
Ça ne me gêne pas d’être une carne. Les gens qui me connaissent disent que j’ai un fond en or seulement il est tout au fond voilà. Ce métier cette vie c’est le mieux que je pouvais décider pour moi, depuis tout petit je ne peux pas trop faire confiance aux gens ou alors il faut vraiment qu’il y ait très peu de gens. Sinon ça me rappelle mes parents qui gueulaient et cognaient sec et les voisins qui ne disaient rien on aurait cru que c’était normal tout ça.
Enfin je n'ai pas souvent l'occasion parce que ici évidemment on ne se voit pas beaucoup on ne se reçoit pas comme les gens de la ville, on est trop loin les uns des autres et surtout on veut qu’on nous foute la paix on est heureux comme ça. C’est quand même pour ça qu’on est tous là au bout de nulle part. Si c’est pour avoir la même vie que si on était en ville ça ne valait pas la peine d’aller se perdre dans la montagne, et si le matin en regardant le soleil se lever j’avais des voisins qui le regardaient aussi en bas de chez moi ou juste à côté je l’aurais mauvaise.
Des fois j'ai un sentiment dérangeant quand je reviens d'une traque et que je sors de la forêt arriver chez nous par le champ. Ce champ je l'ai défriché avec Henry au tout début pour avoir de la vue et de la place pour les bêtes, ça fait un très grand espace vert avec des arbres partout devant la maison c'est beau et reposant. Donc je descends la montagne et je suis à pied, je fais toujours ça pour soulager le dos de mon cheval avant de rentrer. Aru me guette, je ne sais pas comment il fait s'il me guette toute la journée tous les jours que je pars enfin il me repère toujours en premier et là il crie. Ce n'est pas un cri comme un cri c'est de la joie. Ça non plus je n'ai pas les mots pour le dire je le perçois dans ma poitrine et c'est gigantesque et le petit court vers moi il ne court pas vite il est petit. C'est là que c'est bizarre chaque fois ça me fait quelque chose dans le ventre et c'est de l'émotion que je n'arrive pas à retenir, de l'émotion de voir qu'il m'attend et qu'il n'attend que moi et sur son visage le bonheur qu'il y a je ne peux pas l'expliquer c'est immense – mais c'est aussi une sorte de pitié effrayante quand je le regarde cavaler pour me rejoindre, il est tellement petit tellement faible ça me fait peur ça me fait de la tristesse à me broyer, je me dis qu'il sera tout le temps petit et fragile et pourtant je le sais que ce n'est pas vrai seulement je voudrais le protéger pour toujours.
Alors il y a ces instants terribles et puis Aru est là et il se jette contre mes jambes et d'un coup ça va mieux, comme si maintenant qu'il était avec moi il ne pouvait rien lui arriver. Et je sais aussi que tout ça c'est faux parce que c'est sa mère qui s'occupe de lui et c'est sa mère qui le protège, moi ce n'est qu'une sensation mais elle c'est en vrai chaque jour que Dieu fait. Il y a quelque chose d'injuste dans la course d'Aru vers moi et pourtant je le prends et je le garde et Ava sourit en bas du champ je jure que je devine son sourire. Après je finis mon chemin avec le petit homme sur mes épaules. Ce sont les seuls moments où je suis vraiment avec lui, ça ne cherche pas bien loin je m'en rends compte et j'embrasse Ava et on est là tous les trois dans la montagne je crois que je suis heureux.
Aru il ne parle pas. Ce môme c'est un taiseux je ne savais pas qu'un môme pouvait se taire comme ça. Ce n'est pas qu'il ne soit pas capable parce que je l'ai déjà entendu quand il a un truc à dire, il cause il cause c'est comme un ruisseau c'est clair ça babille ça ne s'arrête pas et je me dis que j'aime sa voix il y a des sons si purs dans cette voix d'enfant. La plupart du temps il ne parle pas il écoute. Dieu il écoute tout ce qu'on dit Ava et moi mais il écoute aussi les bruits dehors et puis autre chose qu'on n'entend pas forcément, il écoute le monde ça se voit dans ses yeux.
Je n'aime pas qu'on dise que le loup hurle parce que ce n'est pas ça hurler, quand un clébard s'énerve là je veux bien. Le loup lui il chante c'est très différent, ce n'est pas gueuler pour gueuler, il y met du cœur et des intonations surtout quand ils sont plusieurs ça me donne des frissons et je n'ai qu'une envie c'est faire partie de la meute, ça vient de loin à l'intérieur de moi. Des fois je me refrène sinon je les accompagnerais, je donnerais de la voix moi aussi pour avoir cette sensation de ne pas être seul et j'irais courir avec eux. Bien sûr qu'ils ne veulent pas de moi mais je comprends ce qu'ils ressentent, je crois que je comprends ce qu'ils se disent. Les gens qui trouvent que leurs chants sont tristes sont passés à côté. J'en ai vu des loups qui chantaient j'en ai vu de mes yeux j'étais caché dans la montagne et je peux dire qu'ils n'avaient pas l'air tristes pas du tout. Ils causent c'est tout et si nous les hommes on se parlait en chantant comme ça il y aurait peut-être moins de problèmes entre nous.
C'était le tout début de l'été et il n'y a pas de doute c'est la plus belle saison on aurait été cons de ne pas en profiter. Il y avait ces petites fleurs argentées je ne sais plus comment on les appelle, avec la lumière de la lune elles réfléchissaient dans la nuit on aurait dit des vers luisants en blanc. C'est là qu'on se rend compte qu'on n'est jamais seul la vie pullule partout si on se donne la peine de se poser pour la voir.
Du coup on a longé des prairies sauvages, il y avait des campanules des épilobes et plein de petites fleurs bleues roses et blanches et puis un tas de jaunes qui ressemblaient à des pissenlits trop maigres, il y avait des graminées et quand ça a été l'après-midi avec le soleil derrière ça faisait des reflets dorés c'était très beau. Je me suis arrêté pour regarder le paysage une ou deux fois et le gros a mangé des graminées lui ça ne lui faisait ni chaud ni froid la poésie du monde.
J’ai creusé dehors pendant trois heures dans un sens puis dans l’autre pour faire un trou puis enterrer ma femme et j’ai les nerfs qui vibrionnent, je ne pourrai pas, je ne suis pas prêt pour le repos. C’est pour ça que je regarde le môme qui dort, je fais des réserves parce que tout le temps que je pelletais j’ai bien réfléchi et même si je l’aime ce gosse je sais que je ne peux pas le garder avec moi.
Si je veux être méchant, je dirai que je ne l’aime pas au point de foutre ma vie en l’air et c’est ça qui me pend au nez parce que je ne peux pas traîner Aru dans la montagne avec moi, c’est trop dur ce que je lui demande. En fait je ne suis pas capable de changer de vie alors c’est lui qui va en changer et c’est comme ça, j’ai choisi pour lui je pense qu’il vaut mieux que je l’emmène ailleurs.
Je sais que c’est dégueulasse pourquoi c’est lui qui devrait changer quelque chose et pas moi – je n’ai pas de réponse seulement c’est moi qui décide et je ne peux pas revenir à une existence normale comme ces gens dans les villes trouver un métier normal où je vais me castagner au bout d’une semaine. Ce bout du monde j’ai mis des années à le construire je n’ai pas envie de le laisser et ce n’est pas juste de l’égoïsme : je peux le quitter c’est sûr. Et après je deviendrai dingue dans la ville, je ferai du mal aux autres et je repartirai autant gagner une étape.
J'ai l'impression d'être un de ces salopards qui laissent leur clébard au coin d'une rue parce qu'ils n'en veulent plus et qui disent aux gosses quand on rentrera de vacances on le reprendra il nous aura attendus. Sauf que là, ce n'est pas un chien c'est mon gamin et ça ne fait pas pareil au fond du ventre. Merde je ne le plante pas au milieu des bois quand même. Quelque part j'ai la certitude que ce sera mieux pour lui de commencer une vie un peu normale, au début ça sera difficile et puis il s'habituera c'est comme tout.
C'est une maison pas comme la nôtre : celle-là est en béton peint en blanc, ici on ne fait plus de maisons en bois. C'est propre et raide et je ne voudrais pas y vivre, et au moment où je pense ça je vois qu'Aru pense la même chose alors je dis c'est joli non. Il ne répond pas. Il y a un jardin avec des fleurs et une pelouse bien tondue, on dirait tout du faux je sais pourtant que c'est du vrai c'est juste que ça ne respire pas ça manque d'âme. Personne ne s'en rend compte vu que tout le monde vit pareil.
C’est drôle comme les bonnes choses on se familiarise tout de suite avec, ça nous paraît normal alors que les mauvaises on n’arrive pas à y croire, chaque matin qu’on y repense on se les ramasse comme une gifle et ça me ronge les entrailles.
Il y a toujours quelque chose qu’on ne prévoit pas, quelque chose qui semble impossible et puis ça arrive. Ces choses impossibles c’est une suite de coïncidences qui individuellement ne représentent aucun danger pourtant mises bout à bout ça fait une chaîne et à la fin il y a une catastrophe.
Le résultat il est derrière moi sur mon deuxième cheval et c'est injuste mais je lui en veux et si on m'avait donné le choix j'aurais préféré que ce soit Ava qui s'en sorte enfin je crois. Un enfant ça se refait alors que rien ne ramènera ma femme et c'est une pensée qui pique les yeux.
Moi j'aimais Ava et je ne veux pas que le môme prenne sa place – comme s'il avait fait exprès. Dans ma poitrine ce n'est pas un jeu de chaises musicales et le vide qui y est n'a pas besoin d'être rempli, juste c'est du vide et je regarde le gosse et la tête me tourne.
Ça me rappelle il y a des années quand mon chien est mort, j'avais eu de la peine ça a beau n'être qu'un clébard on s'attache et je l'avais enterré au bord de la forêt. J'avais le moral dans les pompes et puis trois papillons étaient venus en volant les uns contre les autres et en cabriolant. Je les avais regardés quelques minutes et ils étaient repartis. Pendant ce tout petit temps j'avais oublié le chien et puis ça s'est terminé et la peine est revenue et là tout de suite c'est pareil, il y a eu cette sorte d'intermède avec le môme mais un intermède c'est un intermède ça vient et ça s'en va. Après c'est le vie qui reprend et c'est rarement beau ou doux ou drôle.
C’est comme les régions où les gens pensaient qu’ils étaient bien douillets, soit ils crèvent aujourd’hui de cette putain de chaleur qui est arrivée soit ils encaissent les inondations et les coulées de boue deux fois l’an et tout bien réfléchi c’est pareil, les choses impensables sont devenues possibles.
Le tintement de la pluie sur le monde quand on est à l’abri c’est ce qu’il y a de plus beau. Je suis sûr qu’il y a des milliers de bêtes dans la montagne qui se disent la même chose au même instant et on laisse passer du temps les yeux à demi fermés , ce monde-là dehors résonne en nous et on l’accueille.
Ils sont loin on les entend par ricochet dans la montagne et Aru s'est redressé. À vrai dire on s'est redressés tous les deux et je remarque la tension similaire de nos corps penchés en avant et pourtant on sait lui et moi que les loups sont trop éloignés on ne les verra pas. C'est plutôt la fascination du marin quand le chant des sirènes résonne sur la mer, quelque chose d'irrépressible qui vrille au fond de nos ventres et vient chercher une vieille connivence oubliée du temps où l'univers était une sorte de fusion, j'ai du mal à expliquer pourtant en ce temps-là je crois qu'il n'y avait pas ces haines et ces peurs, en ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas de différence on était le monde. Le chant des loups nous appelle parce que c'est notre chant et aussi loin qu'on puisse remonter il y a l'éclat d'un animal en nous, c'est pour ça que ça m'émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux. Ce n'est pas du chagrin c'est une émotion profonde viscérale racinaire et ceux qui ne ressentent pas ça ils ont tout oublié, ce sont des gens déjà morts. Il n'y a pas de mots pour définir ce qui m'étreint et je me dis que c'est pour ça que je vis ici, pour toucher du doigt, du bord du cœur, le territoire sauvage qui survit en moi et à ces moments–là quand les loups hurlent dans la montagne je sais que je ne suis pas seul.
La seule chose qu'il demande le gosse c'est un peu de tendresse un truc comme ça. Il ne le dit pas c'est invisible sauf que c'est tellement là que l'air en frissonne , et je sens les vibrations vers moi que je repousse d'un geste de la main et je voudrais lui dire que ce n'est pas la peine, la tendresse je n'en ai pas du tout ou pas pour lui, on n'est plus que deux et ce n'est pas pour ça que je vais me rabattre sur lui.
Ava c'était le lien qui nous manque, c'était l'eau entre la fleur et la terre. S'il n'y a plus d'eau la fleur se flétrit et la terre se dessèche et c'est l'impression que j'ai, m'effriter peu à peu, je pars en lambeaux en petits morceaux de tristesse et je n'ai rien à offrir au môme. Ma vie est une béance et l'avenir ressemble à ça, un grand trou vide quand chaque matin je me réveille en pensant qu'Ava n'est plus là. Je crois que c'est le plus effrayant me dire qu'elle ne reviendra pas et il y a un réflexe d'espérer qu'elle est partie pour un jour ou un mois ou même un an et puis non – d'espérer qu'un matin elle sera devant la porte devant la maison et la vie reprendra comme avant, mais l'avant n'existe plus et quand ma raison arrive à ce point là ça vacille.
Je suis seul parce que le môme ne compte pas, je veux dire je ne peux pas compter sur lui. S’il se blesse ici au milieu de nulle part il me gênera – si je me blesse il ne pourra rien pour moi et c’est ce qui m’inquiète le plus au fond, si je me casse quelque chose dans la montagne on sera deux à être seuls. Je crois que je me moque de mourir même si j’essaierai de survivre jusqu’au bout de mes forces et pour ça je préfère que le gosse ne soit pas là ; parce que si je meurs en le laissant dans les forêts il devient quoi ? Aru c’est la naissance de la peur dans ma tête et quand on commence à avoir peur on est exactement comme un con qui tiendrait une pique en l’air sous l’orage : on attire la foudre. Pas vite pas fort, c’est une porte qui s’entrouvre, après c’est le temps qui voit. C’est l’instinct qui cède à la réflexion et depuis que l’homme rationalise ça ne donne rien de bon. Agir avec les tripes avec le sentiment avec la sensation, ça j’y crois mais au moment où le cerveau dit stop il y a un truc qui me chiffonne, c’est la fin de tout et là mon cerveau a bu le poison il dit dans ma tête et si tu avais un accident il ferait quoi le môme et la réponse je la connais.
Je suis en colère contre la terre la vie le monde, et le monde je jure je lui ferai la peau. La peau du monde je la tendrai sur un cadre, je la raclerai jusqu’à la dernière miette de sa chair et je l’exposerai devant chez moi pour qu’on sache ce qui se passe quand on me fait du mal. La peau du monde sera mon trophée, je la brandirai comme on brandit un crâne, je l’assècherai comme on sèche un cœur ce sera un lambeau, une squame une toile et sur cette toile je réécrirai quelque chose avec le sang de mes veines avec le sang de ma haine, la peau du monde ce sera mon vêtement.
Je me sens un peu minable, je ne suis pas meilleur que mon père ce salaud. C'est avec cette brutalité là qu'on fait des générations de tarés qui se suivent sans s'améliorer et je me demande si Aru plus tard sera aussi dur que moi et que mon père et mon grand-père pour le souvenir que j'en ai.
Ou parce qu’un enfant, c’est une tâche immense, ça signifie s’occuper de quelqu’un d’autre que soi et je ne suis pas sûr qu’on en soit tous capables. C’est étrange que je n’aie jamais eu peur de rien, la nuit l’avenir les bagarres ou les bêtes sauvages, alors qu’un gosse, ça ne passe pas. Je ne sais pas comment lui parler, comment le nourrir, où mettre les mains pour le porter.
C’est peut-être à force de remuer ça dans ma tête que ça arrive jusqu’à Aru et il se tourne vers moi. Encore une fois c’est fou, à part qu’il tremble un peu je jurerais qu’il n’y a rien de changé en lui et un instant j’ai l’espoir insensé qu’il ne m’en voudra pas, qu’il fera table rase ça y est c’est oublié : c’est ça qu’il va me dire et c’est pour ça qu’il me regarde enfin. Mais les explications c’est moi qui dois les donner, c’est moi l’adulte et ça je n’y pense pas je suis vraiment un con je ne peux pas le dire autrement. Je fixe Aru en attendant éperdument qu’il articule cette belle phrase pour me pardonner et j’ai fait quoi pour la mériter cette phrase ? J’ai l’air de quoi pendu à ses lèvres et qu’est-ce que je peux attendre d’un gosse de cinq ans – je n’ai pas tellement de lucidité à ce moment-là alors les mots qui viennent, je les prends de plein fouet et je les encaisse et ça me laisse sonné, et il a raison le petit parce qu’il n’y avait qu’elle qui l’aimait et il dit :
Elle revient quand maman.
C’est un coup terrible dans ma poitrine. Il ne le sait pas et moi je le regarde avec mon sourire figé et c’est tout mon être qui s’est tétanisé, je veux dire pas seulement mon visage tendu et ma peau qui pique mais tout l’intérieur. J’ai l’impression que mon sang s’est vidé et que plus rien ne circule. Je ne bouge pas si je bouge je m’écroule, il faut que ça revienne un peu. Je croyais qu’Aru avait compris je me rends compte que non. Ou alors il est tellement malheureux que son seul recours c’est sa mère morte et c’est ça que je réalise, parfois on est mieux avec les gens morts qui nous aimaient qu’avec ceux qui restent et qui ne représentent rien pour nous, et moi je suis ce type lointain qui ne s’occupe pas de lui et a voulu le noyer et puis c'est tout.
Pour être exact ce serait plutôt qu'on a une seconde chance et celle-là je vais tenter de ne pas la manquer. On part de loin le gosse et moi, il y a un sacré bout de chemin caillouteux à faire. Ce serait de la folie de penser que ca va être facile.
Je sais que c'est vrai parce que dans la montagne aussi il y a des choses comme ça et je dirais que c'est plus subtil, c'est la nature qui efface les traces des hommes. C'est comme si elle nous détestait, la nature, et dès qu'on fait quelque chose elle tend à le détruire pour reprendre tout l'espace. On croirait qu'il n'y a pas de place pour elle et nous, il y en a un de trop là-dedans. Au début je me rappelle Henry disait que la nature a horreur du vide alors elle le comble c'est tout mais à mon avis c'est bien davantage. Ce n'est pas qu'elle le comble, elle ne se contente pas de remplir les vides. Si c'était simplement ça, dans le monde il y aurait des œuvres à elle et à côté des œuvres à nous et ainsi de suite. Or j'en ai vu des maisons ou des villages désertés par les hommes, et je peux affirmer qu'en quelques années ils se font dévorer par les herbes et les lianes et les arbres. J'en ai traversé des ruines comme ça et la façon dont la nature monte à l'assaut de nos constructions ça n'est pas juste pour venir se coller tout contre elles : c'est pour les engloutir, c'est ni plus ni moins ce qu'un boa constrictor fait avec un lapin c'est exactement l'idée que j'en ai. La nature si elle peut, elle nous bouffe.
Même si les habitations se raréfient il y en aura toujours, c'est comme si l'homme ne pouvait pas s'empêcher de poser son cul un peu partout, un vrai chien pisseur il faut qu'il montre qu'il est là.
Ce n'est qu'un môme, il aura bientôt six ans et à cet âge-là on n'est pas prêt pour être un adulte. S’il perd du temps à regarder un papillon, quand je l’envoie chercher de l’eau, c’est qu’il est capable de poésie, cette poésie, il la perdra bien assez vite tout seul, la vie s’en chargera et ce n’est pas la peine de l’engueuler. Je crois que j’accepte simplement que ce soit un gosse, et ce n’est pas si facile quand soi-même on n’a pas eu d’enfance on ne sait pas ce que c’est. C'est comme un canard ou un chien élevé par un humain, s'il n'a jamais entendu cancaner ou aboyer eh bien il ne sait pas le faire. Au fond on n'est pas mieux que les bêtes il nous faut une référence. On peut la répéter à l'infini ou la prendre à contrepied mais il y a un repère c'est ça l'important, qu'on fasse avec ou qu'on fasse contre c'est autre chose.
Avec Ava il y avait cette force entre nous cette attirance on était ancrés l'un dans l'autre et ancrés dans le monde. Quand Aru court la montagne pour me retrouver, quand il chevauche à côté de moi ou qu'il me sourit c'est le ciel qui nous enveloppe.
Courbé sur le cheval et les mains agrippées au pommeau je pense que je ne lui ai jamais dis je t'aime. Ca me semblait ridicule quand Ava murmurait ça à son oreille, pour moi l'amour c'est l'amour, je veux dire une affaire de corps une affaire d'adultes. Je n'ai jamais réfléchi que j'ai souvent aimé la montagne et aimé le printemps alors au fond j'aurais pu le dire à Aru ça n'était pas déplacé, je l'aime comme la montagne et comme le printemps avec un regard infini sur le monde.
Le soir avec Aru on s'assied dehors on regarde le ciel. Parfois on ne parle pas on n’a pas besoin. Si on veut laisser les pensées vagabonder et si on veut rentrer à l’intérieur de nous il n’y a rien de mieux que le silence et là-dessus on est bons. On a peut-être les mêmes choses qui nous traversent la tête et on ne le sait pas ça n’a pas d’importance et on ne met pas de mots dessus parce que les mots il y a des moments où ça n’apporte rien.
Mais Ava n'est plus là et cela s'est accompli et je suis devenu le père de mon fils vraiment. Maintenant je voudrais presque qu'il reste petit toute sa vie et que je le protège et ça ne marche pas comme ça bien sûr, alors chaque jour qui passe je compte les heures en espérant qu'elles seront les plus longues possibles.
Il arrive qu'Aru s'endorme et j'aime ça l'entendre s'endormir, il raconte quelque chose et au milieu d'une phrase il se tait parce qu'il dort il ne s'en est pas rendu compte. Il faut vraiment qu'il ait confiance et il le sait que je ne vais pas le laisser au bord de la forêt. Je vais forcément le ramener et le coucher dans sa chambre avec le volet fendu et par la fente du bois la lumière de la lune fait un reflet d'argent sur son visage. Je passe mon doigt sur sa joue exactement le long du rayon de lune. Souvent je m'assieds un moment j'écoute sa respiration et je me cale dessus, on inspire on aspire le monde au même rythme et si sa main trouve ma main elle se serre autour et je resterais là toute la nuit s'il le voulait et je me dis -
Les choses sont à leur place je crois.
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Mon humble avis :
Un après-midi de pluie le 30 décembre 2022 et une évasion extraordinaire avec ce livre de 198 pages lu d'une traite...
J'ai aimé chaque livre de Collette Sandrine que vous trouverez d'ailleurs tous dans ma rubrique "Mes lectures" mais j'avoue celui-là est mon préféré...
Il m'a littéralement bouleversé...
L'auteure ne nous dit pas dans quelle région du monde nous partons, dépaysés et isolés dans un décor majestueux, mais avec ses descriptions et avec les prénoms, moi je me suis évadée dans le Montana sauvage, une région du monde qui me fait rêver...
Deux prix bien mérités : Jean Giono pour la beauté de l'écriture, du style, des descriptions de la nature et celui des Lycéens pour l'amour de la vie, pour ces leçons de vie si particulières qui semblent d'un autre monde et qui pourtant traitent de tant de sujets actuels et importants.
On retrouve l'amour de cette nature si belle, si supérieure à l'homme et si sauvage avec ses fleurs, ses saisons, ses étoiles, ses orages, ses animaux ours et loups qui, nous rappelle-t-elle, ont ce droit vital à leur territoire.
Elle nous parle de façon magnifique de l'amour entre deux êtres et du drame de la mort qui sépare, de cette envie de vivre en marge d'une société où on ne retrouve pas les valeurs ou les envies qui sont nôtres, et comment le contact avec des hommes peut s'avérer aussi dangereux que celui des animaux sauvages, soulevant l'éternelle question : qui sont les plus inhumains et les plus cruels...
Elle sublime le chant des loups : "en ce temps-là on était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas de différence on était le monde. Le chant des loups nous appelle parce que c'est notre chant et aussi loin qu'on puisse remonter il y a l'éclat d'un animal en nous, c'est pour ça que ça m'émeut et que des larmes viennent brûler le bas de mes yeux."
Elle traite de l'amour paternel et filial d'une façon bouleversante.
Pudeur des sentiments : un homme aimant qui ne le dit pas, un père qui ne sait pas faire avec son fils simplement parce qu'il a lui-même subi une enfance sans amour, marquée du sceau de la violence...et comment l'instinct paternel peut s'apprendre...
C'est au fil du récit que les sentiments évolueront et quelle évolution !
Car malgré la dureté, l'âpreté de l'histoire, l'écriture reste toujours poétique et magnifique et de chapitre en chapitre un livre qui offre des larmes d'émotion...
C'est un conte que nous offre Sandrine Collette et quel conte !
Sublime!
L'Auteure
Françoise Andrée Renée Dorin est née le 23 janvier 1928 dans le 17e arrondissement de Paris (France)
Elle est décédée le 12 janvier 2018 (à 89 ans)à Courbevoie (Hauts-de-Seine, France)
Avec ses formations aux cours Hattemer et aux cours Simon, elle a été comédienne avant de devenir auteure de chansons qui eurent beaucoup de succès, auteure dramaturge, ( "Comme au théâtre", "La Facture" ainsi que "Le Tournant" ).
Françoise Dorin s'était ensuite mise à l'écriture (sans abandonner sa carrière de comédienne) devenant dans les années 1970 l'un des auteurs de théâtre les plus joués en France.
Parmi ses nombreux livres, on peut citer "Va voir maman, papa travaille", "Les Vendanges tardives", "Les Lettres que je n’ai pas envoyées", "Les lits a une place", "Tout est toujours possible", "Et puis… après " (suite de Tout est toujours possible),Le Cœur à deux places".
Françoise Dorin a épousé en premier mariage, le 5 mai 1950, le journaliste Michel Caste et en second mariage célébré le 2 octobre 1958, Jean Poiret dont elle a eu une fille, Sylvie, en 1960.
Puis elle a été la compagne de Jean Piat de 1975 à 2018. Il la suit dans la mort huit mois et six jours plus tard et est enterré au cimetière du Montparnasse.
Françoise Dorin regarde en face les petits travers et les grands manquements de la vie ou des êtres, et les restitue au théâtre sous un angle léger et satirique.
L'Histoire :
Les lits à une place... Comme on y est bien ! Antoinette n'échangerait le sien contre rien au monde.
Elle s'est installée un appartement agréable au troisième étage d'un ancien hôtel particulier dont son fils, Pascal, occupe le quatrième étage ; Michel, un copain fidèle le second et Catherine, une amie d'enfance le premier.
Les uns et les autres se réjouissent de leur célibat en constatant les chassés croisés qui bouleversent les couples de leur entourage, rongés par « les termites du mensonge ».
Mais le sort va bousculer l'équilibre de cette petite communauté où chacun est indépendant mais néanmoins solidaire des autres. Michel va connaître les tentations du démon de midi ; Pascal, les tentations de la marginalité ; Catherine les tentations de la découverte sexuelle. Quant à Antoinette, sans aucune tentation mais poussée par le vent de la liberté qui souffle de toutes parts, elle va se glisser exceptionnellement dans un lit à deux places dont le beau et tendre Christophe ne parviendra pas à lui révéler les charmes.
Revenus de ces aventures, Antoinette, Catherine, Michel et Pascal, retrouveront avec délice leur complicité et leur philosophie souriante, bétonnée de courage et de lucidité.
Françoise Dorin a écrit là le roman d'amour de l'amitié et propose une solution de vie qui pallie à la fois les inconvénients de la solitude et ceux de la cohabitation.
Roman vif, drôle, très moderne où les femmes s'assument seules, sans se mentir à elles-mêmes. Un roman qui pétille, détend, distrait et recèle en même temps de profondes vérités humaines.
Françoise Dorin s'est imposée depuis douze ans comme l'un de nos premier sauteurs dramatiques avec, entre autres : LA FACTURE, UN SALE EGOÏSTE, LE TOURNANT et LE TUBE qui ont obtenu un succès international.
En 1978, elle a publié un roman à succès : VA VOIR MAMAN, PAPA TRAVAILLE !
Extraits :
"Nappe blanche rehaussée de fils d'argent.
Fleures en papier argenté dans vase d'argent.
Chemins de table et cheveux d'ange argentés.
Fableaux d'argent, accueillant des bougies argentées.
Menu individuel rédigé en lettres d'argent.
Le docteur et Mme François-Achille Buisson, en compagnie de huit de leurs amis, fêtent leurs noces d'argent. Si bien nommées en la circonstance : vingt–cinq ans d'une union qui doit tout au fric. Son commencement et sa non–fin.
Vingt cinq bougies font leur entrée, entourant un gâteau surmonté d'un petit couple de mariés.
— Oh! s'exclament en chœur neuf personnes polies."
"Vous êtes heureuse? demande Maître Vanneau.
Antoinette sourit. Toujours cette même question, qui, dans son cas en sous–entend une autre : Ne vous manque–t–il pas quelque chose ou plutôt quelqu'un?
Toujours cette même curiosité à l'égard de sa vie solitaire, cette même perplexité, cette même incompréhension. Elle y est tellement habituée qu'elle connaît sa réponse par cœur et la débite comme une litanie à Maître Vanneau.
— Je suis sereine et parfaitement bien dans ma peau. Je vis seule par goût. Par choix délibéré. Pour rien au monde, je ne vivrais avec quelqu'un. Je ne suis ni amère, ni égoïste, ni desséchée. Je m'intéresse aux êtres et aux évènements. Je me passionne pour mon métier. La vie m'amuse. Et mon seul souhait est que cela dure le plus longtemps possible."
"Du train où il va, dans deux minutes il parlera à Antoinette de la poésie de deux dentiers qui attendent l'un à côté de l'autre sur la table de toilette,
et aussi de celle du petit pipi à cinq heures du matin. Pouah! Tout ça sent le chausson, le tilleul et la mauvais haleine.
Antoinette est au bord de la nausée. Il faut qu'elle parte. Vite! Vite! "Le Huit!" "Le Huit". C'est propre, c'est clair. Ça sent bon. On y vieillit. Comme partout. Mais seul, on y cache ses misères, on y cache ses crèmes raffermissantes, ses revitaliseurs, ses pétrisseurs, ses déplisseurs, ses rabotteurs, tous ces trompes–temps dérisoires. on y garde pour soi ses yeux bouffis, ses bouches pâteuses, ses insomnies, ses sueurs, et ses frissons. On y respecte les autres. On y fait thermomètre à part. On y reste ni par habitude, ni par devoir, ni par lâcheté. On y estparce qu'on en a envie. On ne s'y trompe pas. On ne s'y ment pas. "
"Il faut au cerveau un certain temps pour enregistrer la nouvelle d'une mort imprévue, un certain temps avant qu'elle pénètre en nous, qu'elle s'intègre à nous, que l'on respire et vive avec elle, comme avec les autres absences accumulées au fil des années, un certain temps d'incrédulité, de refus qui se traduit par des mots stupides."
"Oui, on vieillit. Oui, le meilleur est derrière nous. Oui, ça ne peut aller qu'en s'empirant. Oui, les consolations du genre "Chaque âge a ses plaisirs" sont des foutaises, car aucun être sensé n'osera prétendre que les veillées au coin du feu sont plus exaltantes que les galipettes dans un bois et que la verveine-menthe c'est plus rigolo que le beaujolais. Oui, les années font office de picador et nos forces coulent de nous comme le sang du taureau, oui ce n'est pas drôle mais il n'y a qu'une alternative : c'est ça ou mourir. Alors le choix est simple : ou tu acceptes de vieillir avec tous les inconvénients que cela comporte en essayant toutefois de les pallier au maximum et tu n'emmerdes pas les autres, ou bien tu n'acceptés pas — ce qui est ton droit — et tu te flingues au plus vite."
—" Je sais que les malheurs d'autrui n'enlèvent rien aux nôtres, mais il me semble quand même que tu pourrais en tirer ton profit. Au lieu de t'occuper exclusivement de ton nombril, regarde un peu les informations. Là, tu l'auras ta ration de vrais drames : la famine, les tremblements de terre, des explosions, des accidents de voiture, des cancers, des infarctus, des overdoses, des agressions, des otages, partout des morts et encore des morts qui n'ont pas choisi d el'être...et des survivants anéantis. Après cela, tu auras peut-être assez de bon sens, assez de décence pour ne pas te lamenter parce que tu as les méninges en berne, la virilité en deuil et le teint moins frais."
"Comme c'est important quelquefois les mots ! Malheureusement on ne sait jamais lesquels : ceux que l'on plante dans un crâne avec le plus de soin peuvent n'y laisser aucune trace; ceux qu'on y jette un peu par hasard peuvent y germer pendant des mois et donner naissance selon le cas à des mauvaises herbes ou à des roses."
"On vulnérabilise les gens à force de les apitoyer sur leurs frissons dans le dos et sur l’humidité de leurs pieds. Au-dessous de dix-huit degrés...ou au-dessus, ils s'étiolent. Ils deviennent aussi fragiles que des enfants trop couvés. D'ailleurs on n'arrête pas de les traiter comme des enfants. Pour leur rappeler leurs responsabilités d'adultes, on remplace les képis de la gendarmerie par les plumes de Bison Futé...Et pour stimuler leur sens civique on leur propose la chasse au vilain Gaspi : c'est vraiment l'époque de la dévirilisation."
"Enfin une nouvelle recrue pour chanter avec elle les gaietés du célibat. Pauline entonne sur-le-champ le premier couplet : plus d'attente, plus de faux espoirs, plus de fausse bonne humeur, plus de faux semblants, plus de doutes, plus d'espionnages médiocres, plus de mensonges, plus de colères rentrées ou explosives...
Quelle économie de fatigue et de tension nerveuse!"
"Un choix est souvent l'affaire d'un instant, l'instant où tu avales un peu trop de barbituriques, où tu appuies sur la gâchette d'un révolver, où tu claques une porte."
"— Parce qu'il règne actuellement un véritable terrorisme de l'orgasme et que Catherine, comme beaucoup d'autres femmes — et comme beaucoup d'hommes aussi d'ailleurs — en est la victime. C'est la nouvelle marotte des magazines : il faut jouir à tout prix. Ce n'est plus un droit. C'est une obligation ."
"Elles avaient longuement discuté ensemble de la faculté d'oubli des êtres humains en général et des femmes en particulier dans le domaine du sentiment. Antoinette jugeait cette faculté à la fois merveilleuse et démoralisante : merveilleuse car elle était génératrice d'espoir pour ceux et celles qu'un chagrin accablait : démoralisante, car en les limitant dans le temps, elle ôtait beaucoup de crédit aux élans du cœur et aux passions éternelles."
"— Eh oui! On ne devrait jamais oublier ça et on l'oublie toujours : la vie n'est pas une ligne continue. C'est une succession de moments."
"Les enfants, ce sont des billets de loterie. Tu peux gagner, perdre ou retrouver ta mise."
"— Parce que je sui foncièrement bien élevée, c'est là le drame. par politesse je cache tous les efforts que je fais pour supporter une présence à mes côtés. Par peur de gêner, c'est moi qui me gêne : en vérité, je suis trop sociable pour vivre en société."
"Elle estimait que c'était plutôt rigolo d'évoquer les liens sacrés du mariage devant un couple rongé depuis longtemps par les termites du mensonge et qui ne tenait que par les sacrés liens de la lâcheté."
Mon humble avis :
443 pages d'une belle écriture où avec humour, ironie, réalisme, cruauté parfois, mais avec beaucoup de vérités et de réalisme, Françoise Dorin dissèque la vie de couple.
Dans ce roman elle aborde le sujet du célibat choisi ou forcé, de la solitude, des liens familiaux parents-enfants, mais aussi des liens qui peuvent rester dans un couple divorcé, du bonheur des lits à...une place.
Au fil des pages, elle parle de l'importance de l'amitié vraie, combien les échanges sincères sont importants entre véritables amis.
Mais c'est aussi une étude au vitriol du couple et de l'amour, de la vie à deux avec l'usure, les habitudes, les tromperies, la décrépitude et la vieillesse, les divorces, les aventures...
Le temps qui passe et qui abîme, et la grande question, comment le désir peut-il survivre à cela?
Et cette hypocrisie qui fait rester des couples ensemble alors qu'il y a une troisième personne...ou plus du tout d'amour, de désir et de passion, une vie de tricheries et de mensonges avec sa perte de temps sur la vie qui reste à vivre...par peur de la solitude ou lâcheté.
C'est une véritable satire drôle, cruelle, parfois dérangeante mais tellement réaliste !
Un livre écrit en 1980 mais qui ne se démode pas sur les sujets qu'il traite ...
On sourit beaucoup même si certaines vérités sont tristes par leur réalisme...
J'ai adoré certains passages!
Un moment de lecture agréable...
Brigitisis
Photos et gifs, pour illustrer, trouvés sur divers sites du net.
Merci à leurs créateurs.
Grégoire Delacourt est un ancien publicitaire et écrivain français né le 26 juillet 1960 à Valenciennes.
Biographie
Dans sa jeunesse, il est interne au sein du collège jésuite La Providence à Amiens.
Il obtient son baccalauréat à Lille puis commence des études de droit à Grenoble, vite arrêtées.
Il devient publicitaire en 1982 et crée en 2004, avec sa femme Dana Philp, sa propre agence de publicité, "Quelle Belle Journée".
C'est à la suite de son licenciement de sa précédente entreprise qu'il a décidé de fonder sa propre agence
Carrière d'écrivain
Il publie son premier roman en 2011 à l'âge de cinquante ans, "L’Écrivain de la famille"
En 2012, il publie "La Liste de mes envies" qui devient très vite un succès de librairie
Son troisième roman, "La Première chose qu'on regarde", sort en avril 2013. Il vaut à l'auteur un procès de Scarlett Johansson, qui se voit déboutée en partie mais obtient 2 500 euros de dommages et intérêts pour atteinte à sa vie privée.
"On ne voyait que le bonheur", sorti le 20 août 2014, figure sur la première liste du Prix Goncourt et entre dans la deuxième liste du Prix des Libraires 20151.
"Les Quatre saisons de l'été ", sorti le 29 avril 2015, explore les amours d'été de quatre couples de quinze, trente-cinq, cinquante-cinq et soixante-quinze ans au Touquet. En Allemagne, le livre est classé par le Spiegel dans la liste des dix meilleures ventes.
"Danser au bord de l'abîme" sort en janvier 2017. Brigitte Macron avouera à Paris Match14 qu'il lui « a donné le vertige ».
Le 28 février 2018, sort son septième roman, "La femme qui ne vieillissait pas".
En février 2019 parait "Mon père", son huitième roman.
Le 19 août 2020, Grasset publie "Un jour viendra couleur d'orange".
"L'Enfant réparé" paraît le 29 septembre 2021, toujours chez Grasset, poignant récit autobiographique.
Il est membre du jury du Prix Marcel Pagnol depuis 20192.
Plusieurs de ses livres ont été adapté au cinéma.
Cambrai
L'histoire :
"Une vie, et j'étais bien placé pour le savoir, vaut entre trente et quarante mille euros. Une vie; le col enfin à dix centimètres, le souffle court, la naissance, le sang, les larmes, la joie, la douleur, le premier bain, les premières dents, les premiers pas; les mots nouveaux, la chute de vélo, l'appareil dentaire, la peur du tétanos, les blagues, les cousins, les vacances, les potes, les filles, les trahisons, le bien qu'on fait, l'envie de changer le monde. Entre trente et quarante mille euros si vous vous faites écraser. Vingt, vingt-cinq mille si vous êtes un enfant. Un peu plus de cent mille si vous êtes dans un avion qui vous écrabouille avec deux cent vingt-sept autres vies. Combien valurent les nôtres ? "
À force d'estimer, d'indemniser la vie des autres, un assureur va s'intéresser à la valeur de la sienne et nous emmener dans les territoires les plus intimes de notre humanité.
Construit en forme de triptyque, On ne voyait que le bonheur se déroule dans le nord de la France, puis sur la côte ouest du Mexique.
Le dernier tableau s'affranchit de la géographie et nous plonge dans le monde dangereux de l'adolescence, qui abrite pourtant les plus grandes promesses.
Après le succès mondial de La liste de nos envies et de La première chose qu'on regarde, Grégoire Delacourt signe un roman bouleversant sur la violence de nos vies et la force du pardon.
Lac du Milieu
Critiques presse
Chatelaine 15 octobre 2014
On le lit pour la plume, vivante, crue, de cet ancien publicitaire en lice pour le Goncourt.
L'express 01 septembre 2014
On ressort de ces 350 pages, miroir plus ou moins déformant de nos propres familles, un peu "secoué". De ces secousses qui, souvent, font les bestsellers...
Refuge du Vallon de La Fare
Epigraphe
"Ne me secouez pas, je suis plein de larmes."
Henri Calet
Aigle
Extraits
Une vie, et j'étais bien placé pour le savoir, vaut entre trente et quarante mille euros.
Une vie ; le col enfin à dix centimètres, le souffle court, la naissance, le sang, les larmes, la joie, la douleur, le premier bain, les premières dents, les premiers pas ; les mots nouveaux, la chute de vélo, l’appareil dentaire, la peur du tétanos, les blagues, les cousins, les vacances, l’allergie aux poils de chats, les caprices, les sucreries, les caries, les mensonges déjà, les regards en coin, les rires, les émerveillements, la scarlatine, le corps dégingandé qui pousse de travers, les oreilles longtemps trop grandes, la mue, les érections, les potes, les filles, le tire-comédon, les trahisons, le bien qu’on fait, l’envie de changer le monde, de tuer les cons, tous les cons, les gueules de bois, la mousse à raser, les chagrins d’amour, l’amour, l’envie de mourir, le bac, la fac, Radiguet, les Stones, le rock, le trichlo, la curiosité, le premier boulot, la première paye, la bringue pour fêter ça, les fiançailles, les épousailles, la première tromperie, l’amour à nouveau, le besoin d’amour, la douceur qu’on suscite, l’opium de la petite tendresse, les souvenirs déjà, le temps qui file plus vite soudain, la tache sur le poumon droit, la douleur en urinant le matin, les caresses nouvelles, la peau, le grain de la peau, le grain de beauté suspect, les tremblements, les économies, la chaleur qu’on cherche, les projets pour après, quand ils seront grands, quand on sera à nouveau deux, les voyages, les océans bleus, les blood and sand au bar d’un hôtel au nom imprononçable, au Mexique ou ailleurs, un sourire, des draps frais, des parfums de propre, des retrouvailles, un sexe bien dur, de la pierre ; une vie.
Entre trente et quarante mille euros si vous vous faites écraser.
Vingt, vingt-cinq mille si vous êtes un enfant.
Un peu plus de cent mille si vous êtes dans un avion qui vous écrabouille avec deux cent vingt-sept autres vies.
Combien valurent les nôtres ?
"Mes parents avaient voulu un enfant pour très vite être une famille, c'est-à-dire un couple à qui on ne poserait pas de questions; un enfant, pour mettre une certaine distance entre le monde et eux. Déjà."
"Mon père avait fait des études de chimie, il aimait la poésie, mais ses rêves de prix Nobel s'étaient envolés avec l'apparition de ma mère. Elle m'a désaimanté, dira-t-il plus tard, froidement, comme il aurait dit solubilité. Ou polymérisation."
"Je me suis levé, péniblement ; je portais soudain le poids de mon père. Je portais nos tonnes de silences, je portais nos lâchetés, toutes nos lâchetés ; ces millimètres d'erreurs qui, à l'échelle d'une vie, étaient devenues une mauvaise route. Une impasse. Un mur pourpre."
"Après l'arrivée de mes sœurs jumelles, ma mère avait fait chambre à part. L'abstinence c'est mieux que le manque de passion, disait-elle. Plus tard, elle prendrait quelques amants, se perdrait dans quelques illusions."
"Mais je n'osais pas. Je n'ai jamais osé. Je suis payé pour payer le moins possible, pour n'avoir ni cœur ni compassion, je n'ai pas le droit de tendre la main au naufragé, il n'y a pas de place en moi pour la pitié, pour l'attendrissement, pour une quelconque humanité ; ces mots inconnus. Mon éclopé aurait sa vie foutu, comme l'était la mienne ; depuis des origines."
Au cimetière, il s'était mis à pleuvoir et les coiffures des dames s'étaient effondrées. Les larmes étaient devenues noires, bleues, vertes, brunes, orangées, violettes; toute la palette de Rimmel. Les visages des femmes ressemblaient à des dessins d'enfants : arbres rachitiques, toiles d'araignées, rayons de soleil, pluie bleue, blés noirs. Il y avait eu des sourires, quelques rires, et ce qui devait être triste était devenu léger et gracieux, comme l'âme d'une petite fille."
"Notre mère partait.
C'était tout.
Elle a précautionneusement fermé la porte de l'entrée derrière elle, comme si elle avait voulu que son dernier bruit soit quelque chose de doux."
"Mais tu te rends compte de tout ce bordel, Antoine. Y a pas un jour sans qu'on te foute un nouvel impôt. Ils te font les poches. Le slip. Comme ça. L'air de rien. Ils s'insinuent. S'installent à table. Comme si moi j'allais chez un type bouffer dans son assiette parce que la mienne est vide. Tu vas voir, Antoine bientôt on va taxer les beaux parce qu'ils font de l'ombre aux moches, et les gros, tiens, ils chient plus que les autres. Plus de PQ, plus d'eau. Ils bouffent plus. Prennent plus de place. Puis taxer les minces aussi, parce qu'ils bouffent pas assez, qu'ils consomment pas assez. Cela dit, si on taxait les cons, on récupérerait des milliards. Des putain de milliards."
"Les industriels qui arnaquent. Les labos. Jamais un en taule. Et les mecs qui inventent les radars. Pas un qui soit capable, en échange, d'inventer un truc joli, comme un pilule contre la misère des hommes. Contre la tristesse."
"Mais chez moi, les mots, les larmes, rien ne sortait. Je n'osais jamais. Je n'ai jamais osé. J'étais de ceux qui emmagasinaient ; le genre à ne rien dire quand un chauffeur de taxi choisissait le trajet le plus long, quand une vieille, sous prétexte qu'elle était vieille, passait devant moi à la caisse et, comme le chauffeur de taxi, me baisait aussi.
Ma lâcheté trouve son origine dans cette colère qui ne sort pas. Je sais que le pardon n'a jamais été une qualité humaine, il faut se battre, oser redevenir animal, mordre, se défendre ; ou accepter de disparaître.
J'y pense parfois. Disparaître."
" Je sais que lorsqu'on est triste on ne se tourne jamais vers ceux qui pourraient nous consoler. Et que ça rend encore plus triste. On croit qu'on est venu au monde parce que nos parents s'aimaient et on découvre qu'ils ne nous désiraient pas assez pour rester avec nous. Grandir, c'est comprendre qu'on n'est pas autant aimé que ça. C'est douloureux."
"Mais il y en a une autre que j'aurais tellement aimé te donner et que je crois plus juste. Elle vient des Maoris. Quand le monde fut créé, Ranginui et Papatuanuku - ou Rangi et Papa - vivaient enlacés en permanence l'un à l'autre, condamnant leurs enfants à grandir entre eux, à l'étroit, dans l'obscurité. Mais ce n'était pas du goût de leur fils Täne qui, un jour, s'allongea sur le dos, et poussa Papa avec les bras, Rangi avec les pieds, jusqu'à les séparer.
Ranginui devint le père ciel. Papatuanuku la mère terre. Et la pluie, c'est l'immense chagrin de Rangi."
"Sur les photos, on ne voit pas la cuisson du poisson. On ne voit pas les compliments menteurs : le bar était parfait. On voit notre nouvelle voiture. On me voit moi, couillon, à côté de la nouvelle voiture. On voit le vélo Barbie à trois roues. On voit Joséphine et Nathalie dans la baignoire. On voit Anna et son mari Thomas dans notre petit jardin, près d’une jacinthe fanée. On ne voit pas ma mère. On ne voit pas les mensonges. On ne voit pas le bébé que Nathalie n’avait pas voulu garder un an plus tôt parce qu’elle ne savait plus si elle m’aimerait toujours. On ne voit pas cet amour-là, bref et infini, immense et tragique. On ne voit pas mes larmes d’alors. Mes nuits d’alors sur le canapé. Mes insomnies d’alors. Le mal qui infusait alors. Le fauve qui se réveillait.
On ne voyait que le bonheur."
"L'infini a duré près de trente ans et s'achève en eaux. Larmes, sueur, pisse, bave. La laideur succède toujours à la beauté. Il ne reste jamais rien de beau."
La vallée des dieux Mexique
"Notre père nous donnait parfois des nouvelles d'elle.
Elle va bien. Elle a trouvé un travail. Nous avons divorcé.
Des larmes étaient montées aux yeux d'Anna, les miens s'étaient mis à piquer. Divorcé. Le mot faisait d'un coup trois nouvelles victimes.
Maman. Enfance. Retrouvailles.
Désormais, nous devions grandir vite, ma sœur et moi."
"Il devait y avoir des voitures volantes. Des courses à dos de poissons. L'énergie solaire devait remplacer le pétrole. Il devait y avoir des robots pour faire ce qui avilissait les hommes. Ramasser les poubelles, les crottes de chien, le vomi. Faire l'amour aussi, dans la noirceur des impasses, les parcs touffus ; à la place des petites filles, à la place des femmes perdues. Il ne devait plus y avoir de violences. Tout le monde devait avoir son ordinateur. Plus personne ne devait être seul. Chacun aurait son téléphone portable, on appellerait les gens qui souffriraient, on les sauverait, on les ramènerait à la vie. J'avais grandi dans l'idée qu'il y aurait de l'eau en Afrique, de l'aspirine, des antibiotiques. L'électricité ne ferait plus qu'éclairer le monde, on ne la brancherait plus sur les testicules d'un homme, là-bas, sur la terre jaune du désert. On irait en vacances sur la Lune, sur Mars, Jupiter ; on volerait autour de Saturne."
Mayto
"Tu étais gentille, a articulé faiblement mon père.
Gentille. J'ai souri. La gentillesse ne fait pas l'amour. Elle fait le compagnonnage. Une promenade de trente ans tout au plus. Mon père n'avait sans doute jamais aimé personne et, dans tous les malheurs dont il m'avait affublé, il y avait peut-être aussi celui-ci : l'incapacité de se laisser aimer. Sa plus grande faiblesse. Notre plus grande faiblesse à tous, désormais."
"Pourquoi est-ce lorsqu'on les perd qu'on croise enfin ceux qui nous ont manqué ?"
"J'ai besoin d'y voir clair, disait-elle – la méchante réplique de ceux qui ne savent pas comment vous apprendre qu'ils ne vous aiment plus et qu'ils en aiment déjà peut-être un autre."
" — Quand votre vie privée est foutue, quand votre famille s'est délitée et que votre vie sociale est en train de disparaître, vous savez que vous entrez dans le noir. L'indiscutable. Celui où on ne vous retrouve plus. "
"Le bonheur est une telle ivresse, une telle violence qu'il emporte tout. Les pudeurs. Les peurs. Il peut être si douloureux, il peut faire vaciller, anéantir. Exactement comme le malheur. Mais on ne le dit jamais de crainte que le monde se méfie du bonheur. Parce que lors tout s'écroulerait. Parce que nous deviendrions tous des fauves qui se dévoreraient les uns les autres."
El Tuits Mexique
Mon humble avis :
362 pages...de Cambrai en France à la vallée des dieux au Mexique...
Je ne connaissais pas cet auteur découvert par hasard au rayon livre de "la petite ourse" avec un titre et un résumé qui m'ont interpellé...
Aussi, envie de le lire un jour de pluie, calée sur mon canapé avec mes petits chiens et mes minettes...et fini le soir même...
J'en ai aimé la construction et son originalité, les chapitres courts et l'écriture fluide, et cette façon avec une histoire, de nous faire retourner sur nos propres blessures d'enfance ou d'adulte, sur nos échecs et nos rancunes, sur nos espoirs et les désillusions...
Comment les évènements de la vie : abandons, désamours, l'éducation des enfants et la relation parents/enfants, les problèmes familiaux et de couples, la vie de couple difficile, divorces et ruptures, trahisons, l'indifférence des parents, les silences et les non-dits destructeurs, les lâchetés, l'adolescence période si compliquée à vivre, peuvent changer une personnalité et entraîner quelqu'un dans une descente aux enfers.
L'auteur nous ramène obligatoirement sur nos propres fantômes, nos propres blessures, nos propres tristesses et regrets....
Des sujets de société graves traités, notamment la déshumanisation obligée dans le cadre de la vie professionnelle, le problème de la gentillesse qui dans notre monde n'est pas une qualité mais un défaut, la non reconnaissance du travail accompli au sein de son entreprise, le licenciement, les humiliations et le chômage et ladépression, les actes "de folie" ...
J'ai aimé ce ressenti devant un album à photos où ne ressortent que des moments heureux, où des sourires peuvent cacher des tristesses, où un groupe peut dissimuler la solitude...
Ces photos où un couple parait tellement amoureux et en plein bonheur alors que...
Est-ce que malgré une enfance ou une adolescence en manque d'amour on peut réussir sa vie amoureuse et être un bon parent?
A-t-on une chance de retrouver un vrai bonheur après une vie détruite, un véritable amour après des échecs?
Ce livre nous rappelle que nos propres parents ont été aussi des enfants avec des blessures et des manques et que la pudeur empêche la communication et les échanges profonds nécessaires à l'amour.
Mais aussi une écriture poétique pour les rêves de cet amour que chacun espère, pour croire au pardon, à la résilience, à la rédemption et à l'espérance.
Un livre qui remue forcément, qui soulève des sujets intimes à tous...un livre dur mais avec de la tendresse entre les lignes...
Captivant...On ne peut rester insensible...Non...
Et aux auteurs des photos trouvées sur le net et qui nous transportent sur les différents lieux de notre personnage...
Karine Giébel est une auteure française de romans policiers, née le 4 juin 1971 à La Seyne-sur-Mer (Var).
Biographie
Après avoir obtenu une licence de droit, Karine Giébel occupe pendant un moment des emplois variés (surveillante d’externat, pigiste et photographe pour un petit journal local, saisonnière pour un Parc National, équipière chez McDonald). Puis elle intègre la fonction publique territoriale, où elle est actuellement juriste, s'occupant des marchés publics pour une communauté d'agglomération1.
Elle publie ses deux premiers romans dans la collection « Rail noir » (éditions La Vie du Rail) en 2004 et 2006. Elle poursuit son travail d'écrivain aux éditions Fleuve noir puis Belfond.
Avec ses romans, elle s'est fait une place à part dans le thriller psychologique.
Ses romans, souvent primés, sont traduits en neuf langues : allemand, italien, néerlandais, russe, espagnol, tchèque, polonais, vietnamien et coréen.
Les Morsures de l'ombre, Fleuve noir, 2007.
Chiens de sang, Fleuve noir, 2008.
Jusqu'à ce que la mort nous unisse, Fleuve noir, 2009.
Juste une ombre, Fleuve noir, 2012.
Purgatoire des innocents, Fleuve noir, 2013.
Post Mortem, 12-21, 2013
Satan était un ange, Fleuve noir, 2014.
"Terminus Elicius" est le premier roman de Karine Giebel, publié en 2004, réédité en 2016.
De force, Belfond, mars 2016.
Toutes blessent la dernière tue, Belfond, 2018.
Ce que tu as fait de moi, Belfond, 2019.
Chambres noires, 2020
Glen Affric, Plon, 2021.
Vous les trouverez tous dans ma rubrique "Mes lectures"
L'histoire :
— Des fois, tu sais...Des fois j'ai envie de mourir, murmure soudain Léonard.
— À cause de ce qui arrive à Mona ?
— Oui, à cause de ça. Et aussi parce que je suis un débile et que tout le monde se moque de moi...
— Tu n'es pas débile et de toute façon tu ne peux pas mourir.
— Et pourquoi ?
— Parce que tu n'as pas vu Glen Affric. On ne peut pas mourir sans avoir vu Glen Affric...
" Je suis un idiot, un imbécile, un crétin. Je n’ai pas de cervelle"
Léonard se répète ce refrain chaque jour et chaque nuit, une suite de mots cruels qu’il entend dans la cour, dans la rue. Son quotidien.
"Léo le triso. Léonard le bâtard."
Léo n’est pas comme les autres et il a compris que le monde n’aime pas ceux qui sont différents.
Alors ce qu’il aimerait lui, parfois, c’est disparaître.
Être ailleurs. Loin d’ici.
À Glen Affric.
Y rejoindre son frère qui est parti en Ecosse et n’en est jamais revenu.
Un jour, lui aussi ira voir les cascades, les lacs, les vallées plantées de grands pins majestueux.
En attendant, il accepte, et subit ce que ses harceleurs lui infligent.
Mais jusqu’à quand ?
Car si Léonard est une proie facile et résignée, tout être humain a ses propres limites.
Et les rêves de certains sont voués à finir en cauchemars...
Critiques Presse
LaPresse 03 mai 2022
Ça ne va vraiment pas bien dans la vie de Léonard, un adolescent qui souffre d’un retard intellectuel et qui se fait intimider sans relâche à l’école. Il n’a qu’un espoir, aller retrouver son frère aîné à Glen Affric, en Écosse.
LePoint 10 janvier 2022
Glen Affric, là où ils iront, est une aspiration, un Shangri-La – un lieu imaginaire –, comme le grand projet de George et Lennie dans Des souris et des hommes, de John Steinbeck. Ce n’est pas l’Amérique de la Grande Dépression, mais la France rurale, de nos jours, où règne une pareille misère et solitude humaine. Dans ce thriller psychologique à vous arracher des larmes – un remake qui ne se cache pas –, Giebel, qui a déjà vendu plus de 2 millions d’exemplaires de ses 11 précédents romans, nous fait espérer jusqu’au bout que le duo Jorge-George et Léonard-Lennie s’en sortira et que la justice l’emportera.
Glen Affric, Scotland
Extraits :
Léonard
"Si seulement tu pouvais te fondre dans le paysage, passer inaperçu.
C’est ce que tu aimerais, parfois. Disparaître, partir ailleurs. Loin d’ici, loin des autres."
"Ils te bousculent, t'insultent, t'humilient. Leur jeu favori. Ils fouillent ton sac, récupèrent leur butin. Dérisoire. Alors ils cognent, évitant ton visage pour ne pas y laisser de traces.
Contrairement à toi, ils sont malins.
Triso.
Bâtard.
Comme ça qu'ils t'appellent.
Léo le triso.
Léonard le bâtard."
"Quelques vaches aux pattes pleines de boue, qui attendent d'être mangées, probablement sans le savoir. C'est du moins ce qu'espère Léonard en passant caque soir le long de ces pâturages.
Car lui, il sait.
Il ne sait pas grand-chose mais il sait la mort. Il l'a vue de près le jour où Joseph s'est pendu dans la grange.
C'est laid et définitif, voilà ce qu'il sait.
Mais il se demande parfois si ce n'est pas aussi un chemin vers la liberté."
Les moqueries, il en a l'habitude. Parce qu'il n'est pas comme les autres.
Mona a beau affirmer qu'il est mieux que les autres, Léonard a du mal à la croire. Ses camarades de classe disent qu'il lui manque des cases, qu'il n'est pas fini.
Ils disent la vérité, aucun doute.
Un jour, il a entendu un docteur confier à Mona que son fils souffrait de retard mental. Et même s'il regarde pendant des heures la pendule de la cuisine, il n'arrive pas à rattraper ce foutu retard."
"Vendredi soir, Léonard sourit. Pendant deux jours, il ne les verra pas. Deux jours où il n’aura pas à supporter les autres, leurs sarcasmes, leurs regards acides ou condescendants. Pas à supporter ces cours auxquels il ne comprend rien. Mona lui répète sans cesse que l’école est obligatoire, qu’il ne peut pas s’y soustraire. Mais à quoi bon insister ? Il n’est pas de taille, voilà tout. Pas capable de suivre, de retenir, d’assimiler.
Ces avalanches de mots, ces coulées de chiffres sous lesquelles il étouffe du matin au soir...Il a essayé, pourtant.
Y a mis toute sa force, toute son énergie.
En vain.
Je suis un idiot, un imbécile, un crétin. Je n'ai pas de cervelle.
Tout au long du chemin qui le ramène chez lui, Léonard observe ce qui l’entoure. Les plantes, les arbres, les oiseaux, les insectes. Il aime tout ce qui n’est pas humain. Tout ce qui a des feuilles, des pétales, des pattes, des ailes, des écailles ou des plumes.
Jamais un animal ni un arbre ne s’est moqué de sa différence."
"Ses ennemis l'ont prévenu : s'il se plaint à qui que ce soit, ils s'occuperont de Mona. Ils lui feront des horreurs, l'enverront à l'hôpital ou au cimetière. Léonard ignore s'ils en sont capables, mais préfère ne pas avoir à le vérifier.
Une chose est sûre, pourtant : s'ils touchent à Mona, lui sera capable de tout."
"Les prémices de l'aube entrent dans la chambre. Léonard se poste face à la fenêtre, heureux de revoir le jour. Avec le soleil, la boue de ses cauchemars sèche doucement, la peur recule ; elle se roule en boule au creux de son ventre, prête à resurgir à la première occasion."
"Depuis l’an dernier, Hadrien est interne dans un lycée qu’il a intégré avec un an d’avance. Il y subit à peu près un sort identique à celui de son ami. Avant, ils fréquentaient tous deux le collège Albert-Camus et pouvaient s’entraider, même s’ils n’étaient pas dans la même classe. L’un était le cerveau, l’autre les muscles.
Désormais ils sont seuls.
Face aux autres.
Différents des autres.
Des proies, forcément."
"Léonard se dit parfois que son ennemi ressemble à ces fruits véreux : parfaits dehors, pourris dedans."
"— T’es vraiment trop naïf ! soupire la jeune fille. Tu es un pur, comme dirait ma mère.
— Un pur ?
— Oui, quelqu’un qui ne connaît pas la méchanceté et tout ça. Quelqu’un qui fait confiance à tout le monde, qui vit chez les putains de Bisounours.
— C'est quoi les Bisounours ?"
"Puis l’avocate arrive dans sa robe noire, tel un oiseau de mauvais augure. Léonard l’a déjà rencontrée au début de sa garde à vue et s’est demandé à quoi servait cette jeune femme maladroite, au langage mystérieux, qui parle de lui comme s’il n’était pas là."
"Ses questions sont rapidement élucidées : une cour, bien plus petite que celle du collège. Un sol de béton, trois bancs, des murs surmontés de barbelés, l’ombre des miradors. Pas un arbre, pas un gramme de terre, pas un brin d’herbe. Tout juste un carré de ciel maussade.
Et une bonne trentaine d’ennemis potentiels."
" Il peut pleurer, enfin, trembler de la tête aux pieds. Assis sur son matelas, il se balance d'avant en arrière, sent les larmes couler sur ses joues froides, sur ses lèvres gonflées, sur son cou et jusque sur son torse.
En silence, il appelle sa mère.
En silence, il appelle à l'aide.
Et personne ne l'entend.
Personne ne doit l'entendre."
" — Je vais pas rester !
— On dit tous ça, sourit le Gitan. On dit tous ça... J'ai connu un mec qui disait : ici, en taule, tu dors comme un bébé... Tu te réveilles toutes les deux heures pour pleurer !"
" — Je suis rien, murmure-t-il. Encore moins que rien… Juste un fou, trouvé dans un fossé."
"Cinq jours, ce n’est rien.
Cinq jours, ça passe vite.
Cinq jours, ça peut suffire à mourir."
"Touchera-t-il un jour le fond ? A-t-il connu ce que l'humanité peut engendrer de plus abject ou doit-il redouter pire encore ?
Leonard se demande.
Pourquoi les hommes sont si cruels, parfois.Pourquoi il est depuis toujours un exutoire à leurs souffrances. S'il n'est pas la cause de leur haine, de leur rage.
Léonard se demande.
D'où il vient. Pourquoi toutes les nuits, il a les mains et les pieds dans la boue. Pourquoi il a si peur du noir.
Leonard se demande.
S'il méritait de trouver Mona sur son chemin. S'il mérite qu'on l'aime, simplement. S'il n'est pas qu'un fardeau pour elle et s'il n'aurait pas mieux valu qu'il meure dans ce fossé.
Léonard se demande.
S'il ne devrait pas rester ici à jamais, afin de soulager sa mère.
Léonard se demande.
Si Glen Affric existe vraiment quelque part."
" Il sursaute chaque fois que la porte de sa chambre s’ouvre. Devant ses yeux ouverts se dressent les hautes enceintes et les miradors. Autour de son corps s’enroulent les barbelés. Ils mordent sa chair, déchirent sa peau.
Et dans son crâne, le bruit des clés dans les serrures et celui du claquement des grilles résonnent sans cesse dans un écho infernal."
"Et quand je lui ai demandé qui était Léonard, elle...elle m'a simplement dit : Léonie c'était un sourire d'enfant, un regard d'innocent et un cœur de géant."
Mathieu Jorge
Mathieu vient se poster près de son codétenu.
— Le major… ça lui arrive souvent de te traiter de connard ? demande-t-il.
— Il adore ça. Insulter, rabaisser, humilier. Mais heureusement, ils ne sont pas tous comme lui.
— Il n’a pas le droit, non ? De nous insulter…
Cisco écrase son mégot dans une coupelle métallique. Il récupère son roman et grimpe sur le lit du haut.
— Ici, le droit n'existe pas.
...
Cette nuit, Mathieu ne parvient pas à fermer les yeux.
Cette nuit…
Une nuit, comme une autre. "
Mathieu se souvient qu'avant, il avait des projets.
Un avenir.
Il hésitait entre plusieurs voies, se posait des questions.
Choisir des études, un métier, une carrière.
Avoir le choix, simplement.
Un luxe dont il avait oublié le goût. Mais il a oublié tant de choses...Il a enterré ses rêves et ses espoirs. Aux yeux de tous, il n'est plus qu'un prisonnier, un criminel, un déchet que la société peine à recycler.
Aujourd'hui, il a presque oublié son nom.
Aujourd'hui, Mathieu n'est plus qu'un numéro.
Matricule 8275."
"Insomnie.
Une de plus.
Toutes ces heures où le sommeil ne veut pas de lui. Ces nuits à maudire le passé, à oublier l’avenir. Ce lent cauchemar qui n’en finit pas. Ce temps perdu qui ne reviendra pas. Ces années volées, cette jeunesse massacrée, ces espoirs pulvérisés."
"— Si tu as envie de chialer, tu attends que tout le monde dorme. Que personne ne puisse t'entendre. Si tu dois séjourner ici un moment, tu te cultives, tu lis, tu apprends. Tu aiguises tes sens et ton intelligence... Le cerveau, c'est aussi important que les muscles. C'est plus important que les muscles. Tu apprends à te taire quand il faut se taire. Tu apprends à répondre lorsqu'il faut répondre. Toujours avec les bons mots."
"Au fil des semaines et des mois, son intelligence est devenue l’alliée de ses muscles. À l’ombre de ces murs, il faut être malin, rusé et prêt à tous les compromis. Se construire une réputation, forcer le respect, inspirer la crainte. Se forger une légende, même si elle ne repose sur aucune fondation."
"Il était un innocent.
Aujourd'hui, capable de tout. Ce sentiment d'injustice, si cruel, qui l'a fait hurler tant de fois, pleurer encore plus souvent, l'a finalement transformé en machine de guerre.
Envie de tuer, envie de broyer à son tour;
Seize ans qu'ils l'ont enfermé.
Pour des crimes qu'il n'a pas commis."
Chateau de Glen Affric
"— Je voulais pas te faire d’ennuis, tu sais.
— Je sais, mon fils. Je sais que ce sont eux les coupables.
— Oui.
— Mais c’est toi qui es puni. Parce que tu as commis une faute.
— Pourquoi ils m’en veulent, tu crois ?
— Ce sont des faibles. Ils profitent de ta différence.
— Et pourquoi que je suis différent ?
— À cause de ce que tu as vécu lorsque tu étais un petit enfant.
Léonard reste perplexe un instant.
— J’aimerais bien être comme les autres. Comme ça, t’aurais pas de problèmes à cause de moi.
Mona caresse son visage.
— Je suis heureuse de t'avoir toi, tel que tu es. Tu es un fils merveilleux et j'ai beaucoup de chance.
— Tu regrettes pas, alors ?
— Oh non...Je n'ai jamais regretté, Léo. Jamais, tu entends ?"
"Hum… Tu vas passer devant le tribunal pour enfants qui décidera de ta peine.
D’accord, monsieur. Mais j’ai déjà de la peine, vous savez."
"Il s’engage dans l’escalier et Mona le regarde. Elle ne se lasse pas de le regarder. En seize ans, il a beaucoup changé. Il n’avait que vingt ans en rentrant en prison, ressemblait encore à un gamin. Aujourd’hui, c’est un homme. Tellement différent de Léonard… Pas aussi grand ni aussi large d’épaules, il est fin avec un visage aux traits parfaits, des yeux noirs très expressifs.
Des yeux rieurs, avant.
Si tristes désormais."
"Jorge a pris vingt-deux ans.
Sa mère a hérité d'un combat de tous les jours et d'une peine infinie.
Son père a écopé de la peine capitale."
"Trois heures du matin, Jorge ne dort pas. Il pense au passé, à l'avenir. Aussi sombres que cette nuit bien trop vaste pour lui. Il pense à Léonard, aussi. Agneau cerné de fauves. Il ressent sa peur, celle qui se niche là, au fond des tripes, et ne s'en va jamais.
Désormais un lien puissant unira ces deux frères.
Jorge enfile un tee-shirt et descend au rez-de-chaussée. Il allume une cigare et sort dans l'immense jardin.
Tellement immense. Et tellement calme.
Ici, pas de cris, d'insultes ou de râles de douleur. Si seulement les gens savaient ... S'ils savaient comment on peut détruire un homme. En l'accusant d'avoir tué celle qu'il aimait et en le précipitant en enfer.
Si seulement les gens savaient...
Qu'il aurait préféré mourir à sa place."
"Il sait qu'il ne sera plus jamais l'homme qu'il a été, qu'il aurait pu être.
Cisco aimait à dire que les innocents qui entrent en prison en ressortent coupables. Que ceux qui le sont déjà ressortent plus violents qu’ils ne l’étaient auparavant.
Devenir une bête sauvage, nourrie de haine, abreuvée d’injustice… Voilà ce que les jurés viennent de le condamner."
"Désormais, plus personne ne parle, tout le monde le dévisage.
Même la vendeuse de cigarettes s’est momifiée derrière son guichet. Jorge savoure pleinement ces quelques minutes surréalistes. Il a envie de les étrangler, mais jouit de la peur qu’il leur inspire. Il termine son café, attaque son croissant.
— Vous auriez une serviette ?
D'un signe de tête, le patron lui désigne un distributeur vintage posé sur le zinc.
— Je prendrais bien un deuxième café, aussi. C'est tellement sympa, ici...on n'a vraiment pas envie de partir !"
" Oublier qu'il n'a pas pu serrer sa mère dans ses bras pour la réconforter. Qu'il n'a pas pu se recueillir, ne serait-ce que cinq minutes sur la dépouille de son père.
Comment oublier ?"
"— Je suis sûre que tout ira bien.
Jorge ouvre la fenêtre et devine le jardin dans l'obscurité. Cet endroit où il aimait tant jouer lorsqu'il n'était qu'un petit garçon et que la vie s'annonçait comme une longue ligne droite jalonnée d'espoirs et de lumières.
— Non, maman, tout n'ira pas bien murmure-t-il. Une fois les fondations fissurées, la maison finit toujours par s'écrouler...
— Qu'est-ce que tu dis, mon fils ?
— Rien, maman. C’est sans importance."
"Jorge raccroche et attrape un roman de son sac. C’est en cellule qu’il a pris goût à la lecture. Avant la prison, il lisait les livres nécessaires, ceux qu’on lui imposait. Mais derrière les barreaux, il a découvert comment voyager à travers le monde et la nature humaine sans bouger de son lit."
"Quelle est donc cette longue traversée du désert ?
Quelle est donc cette interminable marche en terre de souffrance ?
Est-ce ça qu’on appelle la vie ?
Soudain, il attrape une barre de fer et se met à frapper l’établi en hêtre massif. Il pousse des cris, y met toutes ses forces, toute sa haine, toute sa douleur.
Toute sa vie."
Angélique
"Ici, jamais de musique, des fenêtres toujours closes.
Elle n'a pas oublié les promenades dans les bois, sur les petits chemins calmes.
Elle se souvient aussi des rares fois où elle venait ici, accompagnée par ses parents. Dans l'antre du monstre qui se cache derrière un masque de vertu. Elle ne l'a jamais aimé.
Avant elle ignorait pourquoi cet homme lui inspirait ces mauvais sentiments.
Aujourd'hui, elle sait.
Sa mère lui disait qu'elle n'était pas comme les autres.
Qu'elle avait un cerveau un peu paresseux, un corps un peu maladroit. Qu'elle était née différente mais que ce n'était pas grave, que ça ne l'empêcherait pas d'être heureuse.
Il faut croire que sa mère s'est trompée. Et qu'en se tuant u volant de leur voiture, ses parents l'ont abandonnée aux griffes du monstre qui vit sous ce toit.
Angélique ne sait plus si elle est dans ce trou depuis trois jours ou deux semaines. Elle a oublié la faim et la soif. Elle a oublié le goût de la lumière et le bruit du dehors.
Que jamais il ne rouvre cette porte. Et que les ténèbres l'ensevelissent dans la paix, le calme et l'oubli."
"— Ouvre les yeux.
Ses paupières se soulèvent de nouveau. Elle voit le canon du vieux fusil de chasse pointé sur son visage.
— Tu te souviens de ce con de clébard ?...La prochaine fois que tu me fais une saloperie pareille ou que tu essaies de te tirer, tu finis dans le trou. Comme lui."
"Parfois c'est le soir qu'il vient.
Parfois, le matin.
Parfois au beau milieu de la nuit.
Quand bon lui semble. Quand il en a envie.
Elle n'a rien à dire et il y a longtemps qu'elle ne dit plus rien."
" Elle s'approche de la fenêtre ; les premières lueurs du jour dessinent le contour du jardin a l'abandon qui s'apparente à un cimetière. Tout au fond, la bicoque en pierres où le monstre a l'habitude de l'enfermer.
Où il avait l'habitude de l'enfermer, lui aussi. Le laissant dans le noir et la boue. Tout au fond du jardin, pour ne plus entendre ses cris.
Elle a essayé de l'aimer, mais comment aimer le fruit de l'horreur ?
Tout ce qu'elle a pu faire pour lui, c'est trafiquer la serrure afin qu'il puisse ouvrir la porte, échapper à cet enfer. Qu'il ne finisse pas comme Attila, qu'il ait une chance qu'elle n'aurait jamais.
C'est à l'aube qu'il a disparu. Pour ne jamais revenir. Et ce matin-là, en le regardant partir depuis cette fenêtre, Angélique a versé ses dernières larmes."
Mon humble avis :
762 pages et quel engouement !!!!
J'ai dévoré chaque livre de Karine Giebel avec passion mais alors celui-là, il est extraordinaire...
Pfft ! Bien sûr toujours ce style superbe, ce maniement des mots et de la langue française remarquable...
Impossible de le lâcher tellement l'histoire est captivante et difficile à oublier une fois terminée...
Je voyais la nuit défiler... "il faudrait dormir ...allez pose-le, tu vas être fatiguée demain! " Mais non, on ne peut pas le fermer, quitter ces personnages si attachants sans savoir leur devenir...en oubliant qu'ils ne sont que des personnages de roman, fictifs...
J'ai même du mal à en parler tellement il m'a bouleversé ...
J'étais prisonnière, piégée et enfermée moi aussi...
Révoltée et malheureuse!
Ce livre nous plonge en apnée dans ce que certains hommes peuvent avoir de plus affreux, horrible et pervers et même chez des "adolescents".
Tant de sujets très graves traités et de façon magistrales : le harcèlement scolaire qui va jusqu'au racket financier avec la différence quand elle est moquerie et méprisée, la sensibilité et la gentillesse face à la violence et à la bêtise, les différences selon le milieu social au sein des établissements scolaires, l'univers carcéral aussi bien des adultes que des adolescents dans un enfermement inhumain fait de haine, de violences, de cruautés...les erreurs judiciaires, l'oublie des droits de l'homme et de la présomption d'innocence avec les enquêtes bâclées et les acharnements de certains policiers... les injustices et les vies brisées à tort... la séquestration et l'inceste dans l'indifférence, les préjugés sur les enfants "différents" , la solitude...
Mais aussi tellement de tendresse dans l'amour d'une mère pour ses enfants : le sien et celui qu'elle a adopté...un lien merveilleux entre ces deux frères...un espoir de bonheur et de moments heureux, de l'amitié et de la bienveillance, de la gentillesse, de l'amour, de la solidarité.
On retrouve au fil des pages la bêtise humaine dans toute sa splendeur, celle que l'on a connu, que l'on côtoie forcément au quotidien, celle acceptée et tolérée, celle qui nous révolte et nous fait mal chaque jour dans nos vies.
Un livre que j'ai lu avec les larmes aux yeux d' émotion et de révolte...Oui, un livre qui m'a fait pleurer...
Un drame psychologique et social qui nous prend le cœur...
Quel talent et quelle émotion !
Certainement un des livres les plus poignants que j'ai lu...et un rêve : voir Glen Affric...
Et il est 1h39 du matin...Il y a des personnages de livres difficiles à quitter...
Photos d'illustration trouvées sur le net.
Merci pour ces partages.
L'Auteur :
Nationalité : France
Né(e) à : Saint-Nazaire , le 06/03/1958
Biographie :
Stéphane Hoffmann est un écrivain français.
Il fait ses études primaires à l’école Saint-Joseph (Saint-Nazaire), ses études secondaires aux collèges Saint-François-Xavier (Vannes) et Saint-Louis (Saint-Nazaire) et ses études supérieures à Paris IV Sorbonne, Paris II Assas et à l'Université de Droit de Nantes. Il en sort titulaire d’une licence d’Histoire et d’une maîtrise de Droit privé.
À la fin de ses études, il s’oriente vers les relations publiques (créateur et directeur de Leroy Hamel Relations Publiques, 1986-1991) et le journalisme.
Après trois ans comme rédacteur au Petit Futé, deux ans comme chroniqueur à Nantes Inter Service et diverses collaborations dans des radios nantaises, il collabore comme pigiste pour Le Figaro Magazine en 1991 et à Madame Figaro à partir de 1995.
Depuis 1987, il dirige en outre la rédaction de La Baule Privilèges et, depuis 1996, celle de Nantes Métropole Magazine.
À La Baule, il organise et anime, depuis 2003, les Rendez-Vous d’Atlantia,
où il a déjà invité plus de cent auteurs à rencontrer leurs lecteurs.
L'Histoire :
«Le mariage a toujours ressemblé à un tour d’autos tamponneuses : c’est inconfortable, on prend des coups, on en donne, on tourne en rond, on ne va nulle part mais, au moins, on n’est pas seul.»
Lorsque Pierre veut prendre sa retraite pour passer le reste de sa vie auprès de sa femme dans leur belle maison du golfe du Morbihan, Hélène ne l’accepte pas. Elle ne tient pas à découvrir un vieux mari en l’homme qu’elle aime depuis toujours.
Une nouvelle vie commence.
Tout est à réinventer.
Après "Château Bougon," Stéphane Hoffmann poursuit avec brio la plus pessimiste et la plus gaie des œuvres romanesques, en observateur toujours inattendu, féroce et bienveillant, de nos mœurs contemporaines.
Presqu'île de Conleau
Bibliobs 07 septembre 2011
COUP DE CŒUR. Dans ce roman aussi iodé qu'alcoolisé, un vieux couple de bourgeois misanthropes fait assaut de perfidies et de rosseries.
LeFigaro 26 août 2011
Les Autos tamponneuses de Stéphane Hoffmann est un roman drôle et sensible sur la bourgeoisie de province.
La pointe de l'ours
Extraits :
« Nous nous entendons sur l'essentiel. Le mariage nous a toujours semblé être un tour en auto tamponneuses : c'est inconfortable, on prend des coups, on en donne, on tourne en rond, on ne va nulle part, mais, au moins, on n'est pas seul. Ainsi avons-nous passé, dans ce voisinage absurde, bientôt quarante ans côté à côte.»
« Depuis un an, j'ai entrepris de vendre mes affaires, quitter Paris et rejoindre ma femme près de Vannes, à Conleau dans cette maison bâtie trente ans plus tôt pour les vacances, et qu'elle n'avait pas voulu quitter depuis que notre fils ainé s'y était noyé avec son épagneul. Nous ne savons pas très bien où est enterré Alain, mais Hélène s'est fait un devoir de rester près de "ce pauvre Bob" – c'est du chien qu'il s'agit –, inhumé sous un mausolée de granit dans le grand parc planté de pins maritimes, rhododendrons blancs et hortensias bleus, nécessitant à l'année deux jardiniers pour lui donner cet air naturel dont le négligé choque les amateurs de massifs, pergolas et bordures.»
La pointe de l'ours et l'île de Stibiden
« Il y a Hélène, aussi, prise de panique à l'idée de me voir en vieux mari à la maison, les bras ballants, se grattant les couilles devant la télé, traînant en pyjama à réclamer son repas. Elle me fait la morale :
— Les hommes qui ne travaillent pas se relâchent, Pierre. Jamais ils ne devraient rentrer à la maison, jamais. Ils doivent mourir à la tâche, au combat, la main sur le métier. C'est leur honneur, leur devoir, leur gloire. Les hommes, on les aime absents. Celui qui rentre saccage tout. La place d'un homme, c'est dehors. À l'intérieur, sa place est prise, qu'est-ce que tu crois ? Si tu veux la reprendre, il te faudra bander l'arc, tuer les prétendants et purifier le palais au soufre.
Et elle ne rit pas.
Moi, d'abord conciliant, parle de me mettre au golf, créer un cabinet de consultants à Baot, aider les jeunes à se lancer: « J'installerai mes bureaux dans les chambres des enfants, et puis je me remettrai au vélo, à l'équitation, à la..
— Brillante idée. Pourquoi pas au Jokari, au jeu de Sept Familles, au Cochon qui rit et au Youpala ? Je ne suis pas d'accord pour que tu cesses tes activités, Pierre. Tu n'en as pas le droit. Et saches deux choses. Un : je ne me laisserai pas faire. Deux : je ne te laisserai pas faire."
Petite mignonne.»
« Pour conquérir une femme, il faut peut-être savoir lui parler, mais pour la garder, il faut assurément savoir l'écouter.»
Vue aérienne du domaine de La Bretesche
« Hélène a raison : le champagne, c'est mieux dans des verres à bordeaux. Les flûtes sont guindées, rigides, souvent mal essuyées : le vin s'y ennuie sans pouvoir s'y épanouir. Des coupes, il s'évade, c'est la part des anges, merci bien. Tandis que dans des verres à bordeaux, il danse, se retient puis se donne tout entier.»
« On est bien, ici, c'est vrai. La cuisine étoilée m'agace, en général, raffinement voyant, pour voyageur de commerce en goguette. Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi les chefs acceptent la tyrannie du Gros Livre rouge. Ils veulent montrer leur virtuosité et se perdent en subtilités inutiles. Ils se regardent cuisiner comme on s'écoute parler. Résultat : leur ordinaire est une musique dont les arrangements couvriraient la mélodie, on perd le fil, l'émotion s'envole et on est bien incapable, le lendemain, de se rappeler de quoi on a dîné.»
« Il y aura quarante ans bientôt que nous sommes mariés. Jusqu'à présent, c'était pas mal. Pour plusieurs raisons, et peu importe lesquelles, au fond, ça ne te regarde pas. Mais la plus importante d'entre elles, si : je t'aimais parce que tu n'étais jamais là. Et, de ça, je tiens à te remercier. Si les hommes connaissaient la force de l'absence, ils seraient absents beaucoup plus souvent. Et beaucoup plus longtemps. J'ai aimé t'attendre. J'ai aimé te regretter. J'ai aimé retrouver des traces de ton passage. Trois fois rien : un journal oublié, une cravate jetée sur un fauteuil, un numéro de téléphone griffonné sur un papier, ton parfum, aussi. Ou, mieux, ton odeur. Les nuits après tes départs, je dormais dans la chemise que tu avais portée.»
« Que craint-elle de moi? Ai-je jamais pesé sur elle? Nous avons toujours fait chambre et salle de bains à part, condition indispensable pour les voyages au long cours. Cela avait aiguisé notre intimité : nous nous réservions les meilleurs morceaux. Mais, depuis longtemps, je ne viens plus gratter à sa porte. Physiquement aussi, c'est le silence : nous nous sommes tout dit.»
« Puis, craignant le ridicule – une femme de mon âge me lasse, une femme plus jeune m'épuise –, j'ai choisi de renouer avec la chasteté de l'enfance. J'ai toujours craint de devenir libidineux et viagrataire.»
« Mais bientôt je n'ai pour seule envie que me retirer et ne plus rien faire d'utile au monde, sinon le regarder et en rire. Si la jeunesse ne se mesure pas aux années, mais au goût d'entreprendre et de créer, à la curiosité qu'on a pour les autres et à cet enthousiasme que permet la naïveté, alors j'ai perdu la jeunesse.
Autre signe de vieillissement : il me semble que le monde ne veut plus avancer. L'Occident a planté par terre un gros cul qu'il lui est devenu impossible de remuer. L'époque est désenchantée, perdant son élan, son allant, son allure, tombant aux mains des binoclards, chaisières et prêcheurs, qui chipotent sur tous les plaisirs. L'époque est aux puritains, la barbe !»
« Lâcher prise reste encore la meilleure manière de vieillir : regarder les femmes, les laisser passer et rêver d'elles. Je veux faire de ma vieillesse un chef-d'œuvre. Non, ça c'est un grand mot : je veux la vivre comme une ardente aventure. Ne pas l'escamoter comme le font la plupart des gens. Savourer le temps qui reste et qui, comme dans l'enfance, semble ne pas passer tout en filant si vite.»
« Ce dont j'ai rêvé toute ma vie : une bibliothèque au bord de la mer. Des murs couverts de livres m'ont toujours semblé être le comble de la paix, c'est –à– dire du bonheur. Vivre dans une bibliothèque a toujours été mon idéal. Il est temps, à mon âge, de me rapprocher de cet idéal.»
Ile Brannec
« Toujours, j'ai eu un livre sur moi. Un seul que je lisais à mes moments perdus. Tous ces temps morts de la journée où l'on attend un rendez-vous, une réponse, un taxi, que le garçon vienne prendre la commande, que le café refroidisse ou qu'Hélène soit prête –, par lesquels la vie s'envole, eh bien, par les livres, ces temps morts étaient vifs et ces moments perdus gagnés.»
« J'ai oublié la plupart des livres que j'ai lus comme la plupart des vins que j'ai bus, mais ils sont en moi et m'ont, sinon transformé, au moins affiné.»
« La littérature, c'est la vie dont on a éliminé temps morts et lenteur; en principe. Voilà pourquoi les moments où on a lu restent en nous intensément.»
« La seconde chose qui me frappa, au cours de ces flâneries dans ma bibliothèque, fut l'affadissement de l'époque. On publiait jadis des livres qui seraient aujourd'hui, sinon brûlés, au moins grillés. On en discutait, mais on acceptait leur existence. N'être pas d'accord faisait partie des plaisirs de la vie.
On manque d'air et de hauteur, que s'est-il passé ? La vie était si douce, autrefois, si libre, si grisante que tout paraissait possible. On pouvait écrire et dire ce que bon nous semblait. On pouvait rire et fumer, boire et chanter. Les ministres ne se ruaient pas sous les caméras à nos chevets à la moindre écorchure. Nous n'avions pas besoin de cellules psychologiques pour surmonter nos drames. Nous étions plus forts. Nous n'avions pas peur.
Je ne me reconnais plus dans cette époque et je n'ai plus l'âge de la combattre. Je n'ai plus que celui de m'en foutre.»
«Je ne savais pas encore que les hommes ne peuvent aimer que ceux de leurs semblables sur lesquels ils se sentent une supériorité, même indirecte : on admire Anquetil, mais on aime Poulidor.»
« Je n'ai pas envie de la feuilleter parce que je sais trop comment cela finit : une heure d'extase, des années d'emmerdements, une vie de remords. N'ayant plus aucune tentation, je n'ai aucun mérite.»
« Je soupire devant la pile des dossiers posée devant moi. Une jeune fille veut un bateau pour traverser l'Atlantique. Quatre garçons demandent de l'argent pour des régates. Une dame veut organiser un festival de rock breton. Une autre des animations pour les enfants malades. Un poète cherche un éditeur. Un éditeur cherche des libraires. Des libraires cherchent des lecteurs. Et les lecteurs, ne sachant jamais quoi lire, se rabattent sur ces prix littéraires créés pour faire acheter des livres à des gens qui n'aiment pas les livres, ce qui est très fort.
Enfin, très fort...En moi l'homme d'affaires applaudit, mais le lecteur s'en fout. Je sais depuis longtemps qu'il faut choisir ses livres comme ses fromages : au pif. On ouvre, on met le nez dedans : si ça sent, on prend ; si ça ne sent pas, on repose. Ça sent mauvais ? Ça sent bon ? Mieux vaut un livre qui pue qu'un livre sans odeur. Un livre doit avoir un arôme, du nez, des parfums, du fumet. Comme un fromage. Comme un vin, une viande, du foin coupé ou du réséda, si vous préférez : un livre doit d'abord sentir. Puis, faire ressentir.
Mais enfin, c'est émouvant, tous ces rêves dans des chemises en cartons. Ça me flanque le cafard : ces gens désireux de changer leur vie et qui ne la changent pas, ne sachant comment faire, attendant trop des autres (de pépères comme nous, les malheureux!) et pas assez d'eux-mêmes. Comment se résigneront-ils après qu'on leur aura refusé ce qu'ils nous demandent? De quelle amertume paieront-ils leur renoncement? Comment continuer de vivre cette vie où ils se sentent tellement à l'étroit?»
Eglise Saint Patern à Vannes
« Ce qui intéresse le président est de rester président. ce qui passionne le club est de rester le club. Tout mouvement ne peut qu'ébranler l'édifice où ces débiles ont réussi à se hisser.»
«Comme le bonheur, nos morts sont parfois en nous, jamais ailleurs.»
« — J'ai tout jeté, Pierre. Tout. Tout cela tire vers le passé. Il ne faut pas s'encombrer. Les photos nous mentent. Elles nous font croire que le passé est du présent. Et on ne sent plus passer le temps. or, il faut sentir passer le temps, sinon hier avale aujourd'hui et nos morts nous dévorent.»
« Du reste, certaines épreuves sont si lourdes qu'on croit les alléger en se taisant, en tâchant de faire comme si elles n'existaient pas. Vous savez, la plupart des gens portent crânement leurs blessures. Ou leurs fêlures. C'est pour cela qu'ils ont besoin de douceurs, de câlins et d'insignes de la Légion d'honneur. Pour tenir. Pour poursuivre.»
« Je suis incapable de lui répondre : j'ai les confidences en horreur. Strip-tease moral. Parfaitement dégueulasse. Je suis partisan du small talk en toute circonstance, parce que l'amusant justement, c'est la différence entre ce que disent les gens et ce que tout leur être exprime.
Tout est vrai, chez les gens, sauf ce qu'ils disent.»
« Ce n'est pas de l'indifférence, c'est du respect et de la prudence.
De la prudence car, si on ne prend pas ses distances, le mort finit par saisir le vif. On doit aux morts le respect, les laisser tranquilles, car ils ne nous appartiennent plus, ils ne sont plus de ce monde où, croyant chérir leur mémoire en les pleurant, nous pleurnichons surtout sur nous.
« Un couple d'humains doit avancer comme un couple de bœufs. Sous le même joug, d'un même pas. Ou comme les chevaux d'un attelage, du même trot. Le plus rapide doit régler son allure sur le plus lent, le plus léger sur le plus lourd, le plus intelligent sur le plus bête, le plus brillant sur le plus terne. C'est cela un couple. C'est cela un couple, Natalie : une honnête moyenne, une médiocrité qui ternit le plus brillant sans faire briller le plus terne.»
« Je pense exactement le contraire, Natalie. Je pense que le mariage est la seule manière de prolonger l'amour. L'amour c'est de l'alcool : léger, volatil et fugace. Le mariage c'est de l'eau: il est profond, lourd et lent comme elle. Et il a de la mémoire. Comme elle. Quand on réussit à faire le bon mélange, de l'alcool et de l'eau, le mariage est une vraie fête, et elle dure toute la vie. Sinon, quand on rate son mélange, ou il y a trop d'alcool et tout explose, ou trop de flotte et l'on s'ennuie et l'on se noie. Donc, il faut tout mettre en commun, le bon et le mauvais, le chagrin et la joie. C'est cela le mariage : tout mettre en commun. rendre tout commun.»
— « Les chiens m'ont aidée à vivre parce qu'ils avaient en moi une confiance totale. Ils croyaient en moi. Je ne pouvais ni me tromper ni les tromper. Ils s'en remettaient à moi pour tout ce qui faisait leur vie. Leur subsistance, mais aussi leurs promenades, leurs plaisirs et leurs jeux. Et je ne pouvais me dérober. Je devais être forte pour eux. Donc, les chiens m'ont renforcée. Mes chiens ont été des aides que j'ai reçues. Autant dire des anges.
Dans ma détresse, Dieu m'a envoyé des anges sous forme de chiens.»
« Le bonheur, ce n'est pas de ne pas avoir de problèmes ; le bonheur est de pouvoir résoudre les problèmes qu'on a !»
« — Un enfant c'est un idéal qu'on n'invente pas, mais qu'on reçoit. Malgré soi. Et il faut être à la hauteur de cet idéal que l'on n'a pas voulu et qui décevra.
Il faut l'accepter malgré soi et en être digne.»
« Car sa mort n'est rien pour Alain, sinon un sommeil plus long, une nuit sans insomnie, où le temps ne compte pas. Ce qu'on appelle l’éternité, je suppose. J'espère.»
Mon humble avis
Le temps gris, triste et humide aujourd'hui m'ayant donné envie d'une journée lecture, j'ai découvert cet auteur avec ce court roman de 233 pages et de 46 chapitres, qui nous emmènent dans le golfe du Morbihan, à Conleau près de Vannes, dans de très beaux décors et paysages.
Une belle écriture avec une plume très acérée, un style très personnel et particulier avec des phrases lapidaires, sarcastiques, cyniques, des dialogues percutants, de l'insolence, de l'ironie, de sacrées critiques et réflexions percutantes sur de nombreux sujets : le couple notamment celui qui se retrouve à la retraite à devoir réapprendre à vivre ensemble, l'amour, les enfants, la perte d'un enfant, les relations parents-enfants...
Mais quel style pour dépeindre la bourgeoisie provinciale bien pensante, son snobisme, sa prétention, son orgueil.
Avec une ironie mordante, il dépeint ces gens qui regarde de très haut "les pauvres", une façon détournée de parler de la condition humaine avec pudeur.
De l'humour et du cynisme aussi pour traiter les problèmes de la société d'aujourd'hui : le système capitaliste, les instances gouvernementales, les divers clubs avec leur président et leur semblant de pouvoirs, des sujets de société aussi importants comme la destruction de petits commerces par de grands groupes...
Stéphane Hoffmann ne nous décrit pas forcément des personnages attachants mais quelle insolence et quel humour! Un régal de le lire !
Des critiques mais de belles réflexions sur la vie...
Un agréable moment de lecture...
J'ai trouvé ces superbes photos sur le net et je remercie leurs auteurs...
Elles nous permettent l'évasion dans ce roman, dans cette région superbe de notre beau pays.
Née en Suède, Kitty Sewell a été notaire dans le Grand Nord canadien, psychothérapeute puis sculpteur, avant de se consacrer à l’écriture.
Aujourd’hui, elle partage son temps entre le sud de l’Espagne et Cardiff, avec son mari dont l’expérience personnelle lui a inspiré l’histoire de Fleur de glace (2008) son premier roman.
Après L’Héritage du sang (2010 ) et Les Feux sauvages de la mémoire (2011), La Petite Fille aux nuages noirs est son quatrième ouvrage publié chez Belfond.
L'histoire :
"Dans les paysages grandioses du Grand Nord canadien, un roman époustouflant, impossible à lâcher.
La descente aux enfers d'un homme rattrapé par son passé, une intrigue machiavélique, une atmosphère troublante qui n'est pas sans rappeler l'univers de Douglas Kennedy."
Un superbe roman glacé entre les paysages époustouflants du Grand Nord canadien et l'atmosphère oppressante de Cardiff. Le cauchemar d'un homme rattrapé par son passé.
" Cher docteur Woodruff,
J'espère que vous ne serez pas fâché si je vous écris. Je crois que je suis votre fille. Je m'appelle Miranda et j'ai un frère jumeau qui s'appelle Mark. "
Quand il reçoit cette lettre du Canada, Dafydd, chirurgien bien établi à Cardiff et heureux en ménage, reste éberlué.
Certes, il a bien occupé un poste dans la petite ville de Moose Creek, mais, s'il a quelque souvenir de l'infirmière Hailey, la mère des jumeaux, il ne se rappelle pas avoir entretenu une liaison avec elle.
Afin de clarifier la situation et rassurer son épouse Isabel, il se soumet à un test de paternité. C'est alors que l'impensable se produit : le test est formel, Dafydd est bien le père.
Seul, désorienté, abandonné par Isabel qui n'a pas supporté sa trahison, Dafydd repart pour Moose Creek. Sexe, jalousie, violence, jeux de pouvoir, ce qu'il va découvrir bouleversera irrémédiablement son existence...
Extraits :
Prologue
Littoral du golfe Coronation - Océan Arctique.
Mars 2006
"Négligeant les conseils des aînés, il avait décidé de ne pas prendre la motoneige. Comme la plupart des garçons de son âge, il adorait faire rugir un moteur mais depuis quelque temps il lui préférait le son de ses pensées. Il aimait les grondements et les craquements de la banquise, le souffle de la bourrasque, le crissement de ses mukluks sur la neige, à chaque pas - et réussir à progresser ainsi par ses propres moyens lui donnait le sentiment d'être maître de la situation."
" L'ours était là, tout près. Il avait dû les entendre ou sentir leur présence et lui aussi avait rebroussé chemin. Pour les suivre. Malgré le jour finissant, le garçon distinguait déjà le triangle que formaient la truffe et les yeux noirs de l'animal.
Des yeux qu'il tenait braqués sur les imprudents, promesse d'un repas substantiel. Le garçon se figea. Ses forces l'abandonnèrent d'un coup. Il avait les jambes en coton et ne put réprimer son envie d'uriner qu'au prix d'un immense effort.
À chaque seconde, l'ours devenait plus grand, plus distinct. Il approchait résolument, à pas très lourds. Tout, dans ses mouvements, indiquait sa détermination. Il n'y avait aucune agressivité évidente dans son attitude. On ne le sentait pas non plus défiant ni attentif. Déterminé. Il avait beau être de taille impressionnante, sa maigreur hivernale transparaissait sous la fourrure jaune pâle."
Moose Creek, 1992
" Parlez-moi un peu de Moose Creek.
— Oh, vous en aurez vite fait le tour. Un peu plus de quatre mille habitants, des Dénés et des métis, pour près de la moitié, quelques Inuits et tous les inadaptés de race blanche que l'on peut trouver sous le soleil. Un mélange impossible. Des foies troués comme un gruyère. Si la compagnie des des humains vous déplait, vous pourrez vous rabattre sur les ours - ours bruns, ours polaires, grizzlis...
— La raffinerie emploie combien de personnes ?
— Dans les cinq cents, je dirais.
— Et les autres ? Ils font quoi ?
— Les exploitations forestières en occupent un certain nombre. Le transport du bois a lieu en hiver, avec l'ouverture de la route de glace. Le dernier truc à la mode, ici, c'est le tourisme. Pour amateurs de sensations fortes : chasse, canoë dans les rapides..."
"Haut dans le ciel, un avion passa, volant vers le sud. Il le suivit des yeux. Il avait beau détester voyager par la voie des airs, il aurait donné cher pour être à bord de cet appareil qui filait vers des contrées civilisées, se fondant dans l'azur, avec dans son sillage une mince trainée blanche. Les feuilles des arbres commençaient à se craqueler. L'automne était précoce dans cette région."
"Bon chien", le félicita Ian d'une voix grave en caressant la tête couleur de miel. Dafydd comprit alors pourquoi cet homme se passait si volontiers de la compagnie de ses semblables. Il avait depuis longtemps découvert qui était son meilleur ami."
"— Dans le meilleur des mondes, p'têt bien, mais dans la vraie vie ça arrive tout le temps. Tu finiras par te pardonner, ajouta t-il en tapotant la main de Dafydd. Laisse les choses suivre leur cours, petit. Et remonte sur le cheval qui t'a jeté à terre. "
Cardiff 2006
"Cet intermède aiguilla ses pensées vers Jim Wiseman, que sa femme avait quitté pour un pilote hollandais, le laissant avec trois garçons en pleine puberté. Dafydd était passé chez lui, un soir, pour lui remonter le moral. Il l'avait trouvé au milieu d'une bande de pré-adolescents et post-adolescents vautrés sur les fauteuils et les canapés, avec la télé qui braillait, des assiettes à moitié vides posées sur tous les meubles, le téléphone perpétuellement occupé. Le pauvre Jim avait devant lui un piètre avenir de père célibataire, mais ses enfants étaient toute sa vie : il aimait d'un amour inconditionnel ces petits sagouins empotés et boutonneux. Dafydd était écartelé entre le désir de vivre lui aussi l'expérience de la paternité et la terreur que lui inspiraient ces créatures incompréhensibles. "
"Quelques pêcheurs emmitouflés dans des cirés informes étaient alignés le long du parapet, les yeux fixés sur leur canne; comme s'ils étaient chacun seul au monde. C'était à se demander pourquoi ils se réfugiaient là plutôt qu'ailleurs, puisque aucun, apparemment, n'attrapait le moindre poisson. Dafydd en eut la confirmation en inspectant au passage le contenu de leurs seaux, mais sa curiosité les laissant indifférents, il les abandonna à leur immobilité et leur mutisme."
"Il s'était résigné, semble-t-il, à suivre le même chemin que les autres médecins - bosser consciencieusement, mettre du fric de côté, rembourser son emprunt et attendre la retraite en se disant qu'alors, enfin, la vraie vie commencerait...sous forme d'une interminable partie de golf ! C'était pourtant à ce moment là que nombre de ses confrères succombaient à une crise cardiaque. Il était bien placé pour le savoir puisque c'est ce qui était arrivé à son père. Lui-même avait beau essayé de ne pas se couler dans le moule, ses petits gestes de révolte - son refus de se déplacer en voiture ou d'avoir une clientèle privée - lui paraissaient plus pathétiques qu'héroïques."
"Des années de célibat et de travail acharné ajoutées à la passion avec laquelle elle poursuivait d'obscurs projets de recherche l'avaient radicalement éloignée des vicissitudes sentimentales. À cinquante-huit ans, elle était désormais trop détachée pour avoir envie de s'intéresser u tant soit peu aux difficiles relations entre les sexes."
"Les gens ont besoin de trouver une personne à blâmer, et cette personne ne peut pas faire autrement que prendre la douleur et l'emmener avec elle, très loin."
"Mais je te regarde et je vois que tu es comme une touffe de mousse : tu prends la douleur comme la mousse prend l'eau et tu la gardes, tu l'emmènes avec toi à l'autre bout du monde."
Moose Creek, 2006
"La ville, plus grande qu'autrefois, était transformée. depuis que la route nationale desservait Moose Creek, les gens s'y précipitaient en masse. La plupart ne faisaient que passer, mais entre l'exploitation des gisements de pétrole et de gaz, les rumeurs autour de la découverte d'une mine de diamants, la montée en flèche du tourisme écolo et de son exact opposé - la chasse, la pêche, le commerce des peaux et la prospection aurifère –, les nouveaux bars connaissaient une affluence constante de pionniers enthousiastes. Sûrs de revenir vers le sud pleins aux as, riches d'or ou de diamants, ces braillards se congratulaient d'avance en entrechoquant leurs pintes de bière.
La reprise des négociations sur la pose d'un pipe-line passait par la prise en compte des droits entre-temps reconnus aux Amérindiens sur cette terre. Et ces pourparlers progressaient avec une lenteur affligeante, car les Premières Nations devaient d'abord s'entendre entre elles avant de poursuivre la discussion avec le gouvernement et les compagnies pétrolières. Détail accessoire, aux yeux des nouveaux venus, qui vivaient au jour le jour en attendant que la manne hypothétique tombe sur ceux qui auraient eu l'énergie de rester."
"Ainsi que Dafydd l'avait découvert le matin même en lisant le Moose creek News, beaucoup de militants de la cause indienne se battaient pour interdire l'alcool. Les neuf autres dixièmes de la population de la ville se moquaient ouvertement de leurs efforts. Il y avait peu de chances qu'ils aboutissent, en effet."
"Un défaitisme autodestructeur ajouté à un terrain génétique particulier poussait les hommes et les femmes de son peuple à s'abrutir d'alcool, les plongeant dans une hébétude apathique. Et maintenant il y avait la drogue, en plus. Faute de came et de cocaïne, les jeunes pouvaient toujours sniffer de la colle ou de l'essence, un pied dans la vie trépidante des salles de jeux vidéo et des machines à sous, l'autre posé sur une terre immense et magnifique aux richesses incommensurables, qu'ils oubliaient d'entretenir et de respecter."
Mon humble avis
397 pages d'un récit dépaysant et passionnant, que l'auteure a écrit en s'inspirant d'un livre extraordinaire de Helen Thayer : Polar Dream ou Plein Nord en version français, première femme à avoir effectué un raid à pied en solitaire jusqu'au pôle Nord magnétique. C'est le livre qu'elle a tiré de son aventure qui a fourni de précieuses indications sur les ours polaires, les chiens de l'Arctique et les techniques de survie à Kitty Sewell pour ce roman.
Elle y a aussi traité de beaucoup de sujets importants : l'ADN avec ses prodiges et ses mystères, l'addiction au Demerol, l'alcoolisme, la solitude, les séparations, les blessures du passé, la culpabilité qui détruit, les alcools italiens, le comportement des puces et la conduite des taxis dans le Grand Nord canadien, le fléau de l'alcool chez les Amérindiens mais aussi chez les médecins chirurgiens, histoire de paternité ignorée, manipulations...
Une étude juste de la psychologie des personnages avec leurs tourments, leur passé, leurs faiblesses, leurs erreurs, leurs remords, leurs addictions.
On passe de Cardiff à Moose Creek, de 1992 à 2006, ce qui rend le récit toujours intéressant.
Ce qui m'a particulièrement plu, c'est la description et le réalisme des conditions de vie très difficiles dans le Grand Nord canadien.
Par les magnifiques descriptions, par la passion du récit, et avec une belle écriture, on voit combien l'auteure aime et connaît les grands espaces glacés canadiens où elle a vécu.
Elle nous y emmène voir un chaman et on se dépayse dans un univers glacé et glaçant mais avec des paysages grandioses, magnifiques et fascinants.
Un livre qui nous entraîne loin, très loin mais qui nous ramène aux fondements de l'être humain : vivre et survivre...
Brigitisis
Merci aux auteurs de ces superbes photos trouvées sur le net, des lieux , dont parle l'auteure...
Et aller voir une vidéo de Helen Thayer, c'est comme se plonger dans ce livre...
Franck Thilliez, né le 15 octobre 1973 à Annecy, est un écrivain français, auteur de romans policiers et de thrillers, également scénariste.
Franck Thilliez étudie à l'Institut supérieur de l'électronique et du numérique (ISEN) de Lille afin de devenir ingénieur en nouvelles technologies.
Refusant de déménager à Paris, Franck Thilliez vit actuellement à Mazingarbe, petite commune entre Lens et Béthune dans le Pas-de-Calais. dans la périphérie lensoise, avec sa femme Valérie et leurs deux garçons.
Romancier, il est également scénariste et a coécrit, avec Nicolas Tackian, les dialogues du téléfilm intitulé Alex Hugo, la mort et la belle vie inspiré du roman américain Death and the Good Life de Richard Hugo, relocalisé en Provence pour l'adaptation à la télévision.
Grand passionné de thrillers, on retrouve dans ses romans quelques clins d'œil à leurs auteurs, comme Jean-Christophe Grangé , Stephen King, Joel Schumacher, Maurice Leblanc et bien d'autres.
Après Conscience animale, puis Train d'enfer pour Ange rouge, son troisième roman La Chambre des morts est nommé au Prix SNCF du polar français 20075 puis adapté au cinéma la même année.
Le succès rencontré depuis La Chambre des morts, sorti en 2005, lui permet de cesser son travail d'informaticien à Sollac Dunkerque pour se consacrer exclusivement à l'écriture.
Il est classé en quatrième position dans la liste des auteurs de romans francophones ayant vendu le plus de livres en 2020 en France (741 835 ouvrages) selon l'institut d'études de marché GfK6.
En 2022, il a vingt-et-un romans à son actif, hors Conscience animale resté confidentiel, ainsi qu'une vingtaine de nouvelles.
Personnages principaux
Les personnages récurrents sont le commissaire Franck Sharko apparu seul dans Train d'enfer pour Ange rouge puis Deuils de miel et 1991, et l'inspectrice Lucie Henebelle découverte dans La Chambre des morts et La Mémoire fantôme.
Ces deux policiers se rencontrent dans Le Syndrome E, et travailleront ensuite ensemble dans Gataca, Atomka, Angor, Pandemia, Sharko, Luca.
En 2017, pour la sortie du roman Sharko, l'éditeur met gratuitement à disposition sur internet un fascicule Sharko Henebelle, couple de flics, qui retrace des anecdotes de leurs vies respectives.
En 2021, dans le roman 1991 Thilliez raconte comment son personnage Franck Sharko débute au 36, quai des Orfèvres, et effectue sa première enquête à tout juste trente ans.
Romans
Série Sharko & Henebelle
2004 : Train d'enfer pour Ange rouge,
2005 : La Chambre des morts
2006 : Deuils de miel
2007 : La Mémoire fantôme
2010 : Le Syndrome E
2011 : Gataca
2012 : Atomka
2014 : Angor
2015 : Pandemia
2017 : Sharko
2019 : Luca
2021 : 1991
Série Caleb Traskman
2018 : Le Manuscrit inachevé
2020 : Il était deux fois
2022 : Labyrinthes
Autres romans
2002 : Conscience animale
2006 : La Forêt des ombres
2008 : L'Anneau de Moebius
2009 : Fractures
2011 : Vertige
2013 : Puzzle
2016 : Rêver
Épigraphe
« Lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité.»
Arthur Conan Doyle
« L'unique différence entre un fou et moi, c'est que moi je ne suis pas fou. »
Salvador Dali
« Ainsi Détale confond tous les sentiers du labyrinthe. À peine lui-même il peut en retrouver l'issue, tant est grande la tromperie de l'édifice. »
Ovide, Les Métamorphoses
L'histoire :
Une scène de pure folie dans un chalet.
Une victime au visage réduit en bouillie à coups de tisonnier.
Et une suspecte atteinte d'une étrange amnésie.
Camille Nijinski, en charge de l'enquête, a besoin de comprendre cette subite perte de mémoire, mais le psychiatre avec lequel elle s'entretient a bien plus à lui apprendre.
Car avant de tout oublier, sa patiente lui a confié son histoire.
Une histoire longue et complexe.
Sans doute la plus extraordinaire que Camille entendra de toute sa carrière...
« Tout d'abord, mademoiselle Nijinski, vous devez savoir qu'il y a cinq protagonistes. Toutes des femmes. Écrivez, c'est important : "la kidnappée", "la journaliste", "la romancière", "la psychiatre"...
Et concentrez-vous, parce que cette histoire est un vrai labyrinthe où tout s'entremêle.
La cinquième personne sera d'ailleurs le fil dans ce dédale et, j'en suis sûr, apportera les réponses à toutes vos questions. »
Frédéric Fontès
Critiques :
Actualitte 06 septembre 2022
Manipulateur littéraire comme à son accoutumé, Franck Thilliez va, dès la couverture, nous faire accepter d’entrer dans une situation labyrinthique et de subir une multitude de micro-échecs avant d’accéder à la sortie.
Actualitte 06 septembre 2022
Franck nous entraine dans des espaces littéraires différents avec des personnages qui ont déjà hanté certains de ses livres, personnages que l’on retrouve avec très peu de plaisir dans ce nouveau roman.
Culturebox 24 août 2022
Une construction d'équilibriste, un scénario ciselé à l'échelle du micron, des personnages campés en quelques lignes, une écriture ultra efficace… le roi du polar français nous embarque dans une mise en abîme vertigineuse dont on ressort essoufflé, essoré, mais ravi.
Liberation 07 juin 2022
Avec son nouveau thriller, Franck Thilliez donne enfin les clés d'énigmes laissées en suspens dans ses précédents romans.
LeParisienPresse 08 mai 2022
Le plus gros vendeur de polars en France revient ce jeudi avec «Labyrinthes», un thriller psychologique à lire d’urgence. Du très grand Franck Thilliez.
Extraits :
— « Le cerveau humain peut déployer les plus incroyables stratagèmes pour protéger l'esprit. Il s'adapte sans cesse, se reconstruit sur ses ruines... Il est même capable de se piéger lui-même. De faire passer des souvenirs inventés pour réels. De nous persuader, par exemple, que nous avons été agressés à la cantine quand nous étions collégiens, même si cela ne s'est jamais produit. Savez-vous comment on appelle ce phénomène ?
— Absolument pas, je ne suis que policière...
— La paramnésie de certitude. La conviction du déjà-vu, du déjà vécu... Une pure invention de l'esprit. Alors où se situe la vérité, là-dedans, à partir du moment où vous croyez que le passé que vous avez en mémoire est le vrai passé ? »
— « Et concentrez-vous, parce que cette histoire est un vrai labyrinthe où tout s'entremêle. Quant à cette cinquième personne, elle est le fil dans ce dédale qui, j'en suis sûr, apportera les réponses à toutes vos questions. »
« Elle avait en effet tenté de bosser à son compte, mais s'était aperçue de la difficulté de vendre des sujets. Les commandes se faisaient rares, faute de budget dans les rédactions et aussi parce que, aujourd'hui, l'information devait se consumer sur-le-champ, être vite présentée et spectaculaire. Faire le buzz avant tout. »
« Aucun doute, la personne qui avait souscrit à ce service en s’appropriant son identité était aussi celle qui avait noté l’adresse sur le papier kraft et qui, logiquement, avait glissé l’enveloppe au fond de la boîte postale. Mais quand ? Et surtout, pourquoi ? Lysine parcourut les pages du contrat : règlement en liquide, cadre correspondant au numéro de portable vide. Autrement dit, elle n’avait aucun moyen de remonter à son usurpatrice.
Elle déchira l’enveloppe et en tira une clé de petite taille ainsi qu’un boîtier circulaire, en plastique noir, sur lequel était scotchée une étiquette avec un numéro de téléphone. Dessus, toujours la même écriture :
« Film H. C. »
Avec appréhension, elle en souleva le couvercle.
À l’intérieur, une bobine de pellicule.
Un film 8 mm.»
https://www.linstantbleu.com/blog/pollution-electromagnetique/electro-hyper-sensibilite.html
« Des hyper-électrosensibles, ou HES, comme elle. Des individus dont l'organisme ne tolérait plus les ondes hyperfréquences liées au wifi ou encore aux téléphones portables. Les symptômes étaient terribles : acouphènes permanent, psoriasis à répétition, impossibilité de trouver le sommeil, mais surtout migraines abominables qu'aucun médicament ni traitement ne parvenait à apaiser.»
https://www.francebleu.fr/infos/societe/electrosensible-elle-trouve-refuge-en-dordogne-1408871504
« Il était même prévu de développer une économie autour de "chambres d'hôtes vertes", pour des vacanciers stressés et décidés, l'espace de quelques jours à se couper de toute forme de communication avec le reste du monde. »
« Mais elle pouvait encore rebrousser chemin. Une petite voix dans sa tête lui intimait de se débarrasser rapidement du paquet. D’oublier l’adresse griffonnée, le numéro de téléphone, et de ne surtout pas visionner la bobine. Tout brûler dans la cheminée et faire comme si de rien n’était.
Mais c’était impossible. Car, à présent, Lysine n’avait qu’une envie : savoir.»
« — Véra au Vieil Ours…
Une voix grave lui parvint en retour. André Lambert alignait soixante-dix bougies. Ancien garde forestier de cette partie du parc régional, il vivait dans un chalet à peine plus confortable que le sien et tout autant isolé. Elle n’était allée chez lui que deux fois. Excellent marcheur, c’était toujours lui qui se déplaçait, soit parce qu’il chassait dans le coin, soit parce qu’il venait chercher ou rapporter les livres qu’il lui empruntait. Mais, depuis l’automne, elle ne l’avait plus vu. Désormais, le seul lien qui subsistait entre eux, c’étaient ces communications.
— Ouais, gamine, j’suis là. Bien le bonjour, en ce 13 février, jour des Héloïse, en l’honneur de la bienheureuse Héloïse, ermite bénédictine morte je ne sais plus quand.
Véra sourit et arracha la feuille de son éphéméride. C’était André qui le lui avait donné.»
« — L'alcool tue lentement, mais on s'en fout, on n'est pas pressés", disait un certain Courteline.»
« Malgré la fatigue, elle ouvrit son ordinateur portable, son cahier de notes et travailla un moment son sujet sur les hyper-électrosensibles. Le malade de Mont-Saint-Aignan qu'elle avait interviewé était au bord du gouffre. Sa femme était partie, il avait dû quitter son emploi, et personne ne trouvait de solution à son problème médical. Il ne lui restait qu'une option : tout plaquer pour aller vivre dans l'un des rares déserts électromagnétiques, quelque part dans les Vosges. Un choix extrême, consistant à rompre tout lien avec le monde et à accepter de survivre plutôt que de vivre.»
« Elle ne pouvait pas y croire et, en même temps, elle savait cet homme assez dérangé pour faire ça. Pour avoir un aperçu de sa noirceur, il suffisait de lire ses livres, si crus et si sombres qu’on se demandait quel genre d’individu était capable d’imaginer des histoires pareilles.
Un pervers. Un malade. Voilà ce qu’il était. Six mois s’étaient écoulés depuis leur dernière rencontre… Six mois pendant lesquels il avait peut-être fait construire cette pièce, tapissé ces murs de mousse… Six mois pour penser au moindre détail et mûrir sa vengeance…
Julie en percevait d’ailleurs déjà les vibrations, comme les prémices d’un tremblement de terre.
Elle vivait un rêve éveillé. Elle connaissait l’un des plus illustres auteur de thriller français. Mieux que ça, elle le côtoyait ! L’instant était empreint d’une telle magie qu’elle se dit qu’il fallait en garder une trace. Elle se mit alors à tenir un journal intime.»
« Julie était face à un prédateur de la pire espèce. Caleb Traskman fonctionnait comme un serpent. Il s'enroulait doucement autour de vous, avec ses belles paroles, ses gestes, ses promesses, puis il s'amusait, avant de serrer crescendo, jusqu'à ce que vous étouffiez. Il vous détruisait, vous anéantissait. Ce type était le diable incarné, aussi pervers dans la vraie vie que dans ses romans. »
« Des spécialistes expliquaient que chaque individu avait des événements profondément transformés, voire inventés, ancrés dans sa mémoire. Le cerveau étant malléable, il se réorganisait en permanence, et un souvenir n'était pas une photo précise, comme on l'avait longtemps pensé ; chaque fois qu'il remontait à la surface, il se reconstruisait avec des nouveaux éléments, mutait, et était réenregistré ainsi. En définitive, plus on se remémorait un instant, plus celui-ci s'éloignait de la réalité du passé.»
«Certains faux souvenirs envahissaient l'esprit pour dissimuler de graves chocs psychiques.
Le cerveau était capable de se piéger lui-même pour se protéger.»
« — Souffrir de migraines abominables, vomir ou déclarer du psoriasis, c'est concret, croyez-moi. Si vous vous êtes renseignée sur le sujet, vous devez savoir qu'un portable émet en permanence des micro-ondes pulsées qui traversent la peau et les murs, des champs magnétiques et des rayonnements infrarouges qui provoquent l'échauffement des tissus et des organes.»
«— Schizophrénie paranoïde, pour être précise, répliqua la femme, mais vous conviendrez qu'il était trop compliqué de trouver un pseudo avec ça. Pourtant, la mention "paranoïde" a toute son importance, n'est-ce pas ? Symptômes courants : hallucinations visuelles, auditives, délires paranoïaques. Certains malades croient, par exemple, que des évènements dont ils ont eu connaissance avant qu'ils ne se produisent vont réellement se produire. »
« La plupart du temps, les schizophrènes paranoïdes n'avaient pas conscience de leur maladie – leurs hallucinations ou leurs délires étaient, pour eux, réels. Ils pouvaient avoir des discussions très élaborées avec des gens qui n'existaient que dans leur tête, manger, vivre en leur compagnie et, si leur environnement s'y prêtait, mener une vie tout à fait normale avant qu'un proche, un ami, un collègue ne détecte les signaux d'alerte. Une fois confrontés à leur trouble psychique, certains l'acceptaient et étaient capables de prendre soin d'eux-mêmes, à condition d'être médicamentés et de rendre des visites régulières à leur psychiatre.»
«— Je ne suis pas schizophrène. J'ai un don qui me rend spéciale. Certains communiquent avec les esprits, d'autres trouvent des sources d'eau ou visualisent les auras de ceux qui évoluent près d'eux. Moi, je sens certains drames avant qu'ils se produisent. Mais on n'aime pas la différence, dans notre société. On déteste ce qu'on ne comprend pas, ce qui échappe aux lois, à la science et à la religion. Alors ce don a fait de moi, à vos yeux et ceux de vos collègues, une malade mentale.»
« Bien sûr sa curiosité pour les archives de l'INA concernait la partie septième art. En tout cas, peu importait le domaine, ce qui la fascinait, c'était de savoir jusqu'où un artiste pouvait aller au nom de l'art. Quelle frontière morale il pouvait franchir en prétextant servir son œuvre.»
LA LIBERTÉ GUIDANT LE PEUPLE (28 JUILLET 1830).
...« Que, souvent, elle s'était demandé à quoi ils ressemblaient, ces gens qui écrivaient des histoires aussi torturées. Menaient-ils une vie normale ? Avaient-ils eu des enfances perturbées pour accoucher de telles horreurs? Leurs œuvres n'étaient-elles que la manifestation de leurs pensées les plus sombres? Maintenant, elle savait. Elle connaissait leurs démons, et ils étaient terribles.»
«Le labyrinthe représente souvent, du point de vue symbolique, l'inconscient. Une zone de notre tête qui demeure mystérieuse, complexe et difficile d'accès. Comme le dédale, l'inconscient peut rendre fou et entraîner vers sa perte quiconque chercherait à atteindre le centre.»
« L’art était-il un univers à part où la liberté d’expression pouvait tout permettre, tout représenter ? Censurer la création revenait-il à porter atteinte à la démocratie et aux libertés individuelles ?»
«Tu nous prends pour des monstres, hein ? Tu n'es pas la seule. On nous juge, on nous hait parce-que nos œuvres sont brulantes, immorales. Mais qui lit mes livres ? Qui entre dans les musées pour s'extasier devant des peintures de violence pure? Qui s'entasse dans les salles de cinéma pour se complaire, deux heures durant à regarder des tueurs qui torturent des victimes ? Qui se délecte de l'abject et fait semblant d'être extérieur à tout ça.»
« J'espère que vous avez du temps. Ce que je vais vous raconter, c'est comme ouvrir un roman à suspense particulièrement sombre et en prendre pour cinq cents pages de montagnes russes.»
Mon humble avis
375 pages dans lesquelles je retrouve le style familier et captivant de Franck Thilliez, auteur dont j'ai lu et partagé tous les livres dans cette rubrique "Mes lectures".
Avec ce thriller nous allons dans la région parisienne, dans les Vosges, en Bretagne en suivant le parcours de cinq femmes...
Il me semble important de préciser que si on lit que « Labyrinthes » peut se lire sans avoir lu les deux histoires précédentes : « le Manuscrit inachevé » avec l'écrivain Caleb Traskman et « Il était deux fois » avec la jeune disparue Julie, il me parait plus judicieux et passionnant de les lire avant, afin de bien comprendre et apprécier cette trilogie imaginé par Franck Thilliez.
L'auteur nous emmène en effet dans un labyrinthe au fil des chapitres et nous entraîne dans une partie d'échec comme si nous étions des pions.
Comme toujours, il traite de sujets importants et documentés : la mémoire et ses méandres, sujet qui nous angoisse tous, l'amnésie, le kidnapping et la séquestration, la violence dans le monde de tous les arts (sculpture, peinture, littérature, cinéma... ), les violences physiques et psychologiques avec la grande question sur la violence qui semble nécessaire dans notre monde aujourd'hui...
On y retrouve sa passion des mots avec les énigmes, les anagrammes, les palindromes et bien sûr le jeu d'échec et ses parties prenantes...
Il nous parle d'électrosensibilité et d'hypersensibilité, de nouveaux sujets d'actualité :
"L’électrosensibilité (ou hypersensibilité électromagnétique) se caractérise par des symptômes peu spécifiques (rougeurs, picotements et sensations de brûlures, fatigue, lassitude, difficultés de concentration, étourdissements, nausées, palpitations cardiaques et troubles digestifs), non expliqués par un examen clinique, et que les patients attribuent à l’exposition à des champs électromagnétiques."
https://www.liberation.fr/checknews/2018/09/20/l-electrosensibilite-est-elle-une-maladie-imaginaire_1676936/
Nous basculons dans le domaine psychiatrique avec la schizophrénie, la folie, les schizophrènes paranoïdes avec des hallucinations ou des délires.
C'est un récit perturbant comme toujours, passionnant par les sujets traités, et prenant par son suspense bien ficelé jusqu'à la dernière page.
L'auteure
Il y aurait beaucoup à écrire sur le combat que cette femme a mené dans son pays.
Nationalité : Viêt Nam
Né(e) à : Thái Bình , 1947
Dương Thu Hương est une romancière et dissidente politique vietnamienne.
Issue d’une famille révolutionnaire et membre du Parti communiste, Duong Thu Huong fait partie de la génération Hô Chi Minh.
À vingt ans, elle dirige une brigade de la jeunesse communiste du mouvement "Chanter plus haut que les bombes", elle est envoyée au front pendant la guerre, sur le 17e parallèle, dans la région la plus bombardée du Vietnam.
De retour à Hanoï en 1977, elle devient scénariste pour le cinéma vietnamien.
À partir de 1980, alors qu’une de ses pièces de théâtre est censurée, elle conteste violemment la censure et la lâcheté des intellectuels.
À partir de 1989, la politique du « renouveau » marquant le pas, Duong Thu Huong devient de plus en plus populaire dans l’opinion publique et de moins en moins acceptée par le pouvoir.
Avocate des droits de l’homme et des réformes démocratiques, elle n’a cessé de défendre vigoureusement, à travers ses livres, ses engagements pour finir par être exclue du Parti en 1990 pour « indiscipline, » avant d’être arrêtée et emprisonnée sans procès le 14 avril 1991.
Son arrestation provoqua un large mouvement de protestation en France et aux États-Unis, dans les organisations de défense des droits de l’homme.
Elle fut libérée en novembre 1991, mais dû vivre en résidence surveillée à Hanoï jusqu’en 2006.
Malgré cet exil intérieur et bien que ses livres soient désormais interdits de publication dans son pays, Duong Thu Huong reste au Vietnam un des écrivains les plus populaires et les plus discutés.
Son œuvre est traduite dans le monde entier.
Arrivée en France en 2006 pour défendre Terre des oublis (Sabine Wespieser éditeur), elle a décidé d’y rester et de se consacrer à l’écriture.
Après Itinéraire d’enfance en 2007, Au Zénith, a paru en 2009, toujours aux éditions Sabine Wespiese.
L'histoire :
Alors qu'elle rentre d'une journée en forêt, Miên, une jeune femme du Hameau de la Montagne, situé en plein coeur du Vietnam, se heurte à un attroupement :
l'homme qu'elle avait épousé quatorze ans auparavant et qu'on croyait mort en héros est revenu.
Entre-temps Miên s'est remariée avec un riche propriétaire terrien, Hoan, qu'elle aime et avec qui elle a un enfant.
Mais Bôn, le vétéran communiste, réclame sa femme.
Sous la pression de la communauté, Miên, convaincue que là est son devoir, se résout à aller vivre avec son premier mari.
Au fil d'une narration éblouissante, la romancière passe de l'un à l'autre des personnages de ce triangle tragique.
Miên tente désespérément de se réhabituer à un homme épousé très jeune, physiquement détruit par des années de combats et d'errance dans la jungle, mû par la seule obsession d'engendrer un fils. La jeune femme, nuit après nuit, vit un calvaire. Elle ne peut oublier Hoan qui, résigné, a fui vers la ville où, malgré ses succès commerciaux, vit un enfer.
Plongeant dans le passé de ces trois innocentes victimes, éclairant leurs destinées individuelles par l'évocation d'une société pétrie de principes moraux et politiques, convoquant leur quotidien dans une somptueuse description de sons, d'odeurs et de couleurs, Duong Thu Huong donne véritablement corps à son pays.
Terre des oublis, grand roman de l'après-guerre du Viêtnam, est un livre magistral.
https://www.voyageursdumonde.fr/voyage-sur-mesure/magazine-voyage/a-la-decouverte-du-vietnam
Extraits :
"Si Miên l'avait regardé dans les yeux en cet instant, elle aurait vu toute la tendresse qui le submergeait. Elle aurait vu non seulement l'amour mais la soumission, non seulement la prière mais la supplication, non seulement le désir mais la terreur, la terreur de la solitude sans fin, la solitude qui rend faible et lâche...Et derrière ces sentiments mélangés, elle aurait vu rejaillir le feu d'un été vieux de quatorze ans. Le temps n'a pas éteint cette flamme. Il a soufflé dessus pour en faire un brasier, le brasier d'un flamboyant en fleurs dans le ciel d'été."
"En temps de guerre, le mariage ressemblait à l'accomplissement d'un devoir ou à un cadeau que les villageois offraient aux jeunes gens avant leur départ à la guerre.
"Demain, je prendrai la route, demain j'irai au front..."
"La jalousie et la rancœur, comme un instinct, imprègnent en permanence l'esprit des paysans. La médiocrité et la bassesse recèlent une force supérieure à celle des gens d'honneur car elle ne connaissent ni loi ni règle, ne dédaignent aucun mensonge, aucune fourberie. De tout temps, quiconque vit dans les villages et les communes doit obéir sans discuter à la volonté silencieuse des masses s'il ne veut pas être isolé, attaqué de tout les côtés. "Les décrets royaux cèdent le pas aux coutumes du village." Les femmes qui osaient s'opposer aux masses ont toujours dû quitter le village pour vivre d'expédients ou se prostituer dans les villes. Même après être parties, quand elles reviennent, elles subissent des pressions impitoyables que le temps n'adoucit jamais. La loi formellement inscrite dans les textes n'a aucune valeur, aucune force face à cette loi invisible, jamais promulguée."
"Aucun navire n'a envie de rester ancré au port. Il y pourrirait inutilement. ce serait un gâchis de la nature."
Fleuve Nhât Lê
"Elle doit revenir vers Bôn, renouer la vie conjugale d’antan, reprendre un amour éteint fané, l’amour d’un fantôme errant aux abords d’un cimetière."
"Sa femme devient plus tendre que jamais, non pas de la tendresse d'une femme paisiblement installée dans son bonheur, mais de la tendresse désespérée, démente de celle qui sera bientôt chassée du paradis et qui le sait."
"Ses yeux noirs le fixent, tremblant, assoiffés, affamés, douloureux. Les yeux d'une bête sauvage qui s'abreuve pour la dernière fois au ruisseau avant de pénétrer dans le désert. Le regard d'une femme ramassant les derniers fruits de la terre dans la rizière avant la venue de l'hiver. Les yeux du condamné à mort dégustant le repas de grâce avant son exécution."
"C'est donc cela, la séparation... La séparation. Je n'arrivais pas à l'imaginer. Chacun vivra dans son coin. La maison deviendra une tombe où s'enterrent les souvenirs."
"L'homme n'est pas une autruche. Il doit faire face à la vie, qu'elle soit heureuse ou malheureuse, riche ou misérable, paisible ou périlleuse. Dieu a donné à l'homme de marcher debout, contrairement aux bêtes, pour lui permettre de regarder droit devant."
"Dehors, le crépuscule s'éteint. Le ciel violacé tourne au gris cendre. Pas de clair de lune. Les couronnes des orangers se diluent dans l'ombre. L'étoile du soir ne point pas comme d'ordinaire. La maison sombre dans la nuit. L'ombre vénéneuse s'infiltre à travers la peau, pénètre dans la chair, les nerfs, les os. Ils sentent leurs membres flageoler, leurs esprits se décomposer. Ils n'ont plus la force de pleurer, de se plaindre, de s'aimer. Les vagues du désir se sont retirées comme une marée, laissant sur le rivage des algues exténuées. La tristesse, comme des ailes invisibles de chauve - souris, balaie leurs visages, les étouffent. Miên est allongée, la tête posée sur le bras de son mari. Ils restent figés comme des bûches. L'ombre se fait de plus en plus épaisse dans les plaintes des insectes, les claquements de langue des lézards et, de temps en temps, les cris affolés des oiseaux. La nuit s'avance. Sur ses pas, le Génie des ombres sème les pétales des rêves. À la longue, épuisés, l'homme et la femme s'endorment."
"La salle de bains n'est en fait qu'une surface de deux mètres carrés pavée de chutes de briques, entourée de claies de bambou. Les volontaires l'ont bâtie en réparant la maison. La vieille cuvette a été frottée, lavée à fond, installée dans un coin et remplie d'eau. Une ficelle de parachute tendue entre deux branches sert à suspendre les vêtements. Bôn a posé le savon parfumé sur une fourche à trois branches du goyavier. Miên le prend, le regarde. C'est un Camay. L'enveloppe blanche a jauni, les arêtes usées commencent à se déchirer. Bôn l'a pourtant gardé neuf ans dans son paquetage pour lui rapporter. L'unique cadeau après une guerre. Les yeux de Miên se mouillent soudain."
" Il faut un amour réciproque pour former un couple. Ne m'en veux pas si je te le dis, il vaut mieux se satisfaire dans le trou d'un arbre que coucher avec une femme qui ne vous aime pas"
Bao Lac
"Vous croyez alors que le ciel protège les commerçants chinois ?
- Ils ont d'authentiques talents. Tout d'abord parce qu'ils ont de l'expérience. Les Chinois savent commercer depuis l'Antiquité. Ils savaient déjà construire des bateaux pour franchir les mers, ils connaissaient déjà la valeur de l'argent pendant que nous autres, Vietnamiens, nous chantions les louanges de la pauvreté honnête, de la pureté d'âme, et que nous méprisions ceux qui faisaient fortune par la voie du commerce et non grâce aux moissons et aux prébendes mandarinales. Le choix de nos valeurs était erroné dès le départ. Nous en payons le prix."
"Les mois et les années semblent longs, interminables et, pourtant, quand on se retourne pour les regarder, ils semblent aussi brefs qu'une pluie, l'ombre d'un nuage, le rêve d'une nuit d' été..."
"On dit que les femmes des régions de pêche sont particulièrement sensuelles parce qu'elles mangent plus de poisson que de riz."
"C'est peut-être grâce à ceux qui ont un regard et des sentiments différents des nôtres sur la réalité que nous avons la chance de nous remettre en question, de sonder les zones obscures au tréfonds de notre âme, que nous ne voyons jamais tant que nous vivons au milieu des gens qui nous ressemblent."
"Hoan sait bien qu'on continue d'exercer le plus vieux métier du monde, que de tout temps ce métier perdure, publiquement ou clandestinement. Sans doute un métier au service des hommes acculés au malheur comme lui ou de ceux qui étaient trop pauvres ou trop défigurés pour trouver une femme capable de les aimer."
Baie de Halong
"La mer se soulève sous ses yeux. Le soleil vient de poindre au-dessus de l'eau. L'est s'embrase de lueurs roses, radieuses, fraîches. Les voiles teintées de soleil, les ailes des mouettes chavirent sur la crête des vagues. La mer de tous les jours. Mais le vent frais frappe son visage, lui procure la sensation de revivre. Sa tête est légère, limpide, comme si les nuages noirs qui s'y entassaient s'étaient dispersés, comme si l'averse bienfaisante des premiers jours de la saison des pluies avait balayé la poussière et les ordures de la ville, nettoyé ses égouts engorgés."
"Hoan se gourmande, mais ses pieds l'entraînent sur la plage, ses oreilles guettent, à travers le rugissement des vagues, les gémissements des amants, leurs respirations haletantes accompagnant les gestes de l'amour qu'il ne connaît que trop. Ces bruits raniment dans sa mémoire les scènes d'amour passées, le corps de la bien-aimée, sa respiration, l'odeur de ses cheveux, de sa sueur, de tout petits gestes, des signes intimes qu'ils sont seuls à reconnaître. Tout, tout lui revient à l'esprit, jusqu'au moindre détail de leurs enivrantes étreintes."
"Car il était sûr que Mièn n'aimait que lui, lui seul, uniquement lui. Son retour vers le premier homme n'était qu'un suicide, le sacrifice d'une femme née dans une société soumise à d'incessantes guerres, où la vie tremblante des hommes palpitait comme des ailes éphémères, où toute leur énergie s'enracinait dans la fidélité et la résignation tenace de leur épouse."
"En venant au monde, qui ne souhaite pas vivre aussi bien que son prochain ? Mais les dons du ciel ne sont pas uniformément distribués, la chance n'et pas uniformément partagée, il vaut mieux ne pas jalouser les autres."
"Personne ne peut choisir pour son prochain. Maintenant, c'est à vous de prouver vos talents. Il y a une saison pour les fleurs, un moment de beauté pour les femmes, un âge pour les hommes. Quels que soient ses talents, au seuil de la vieillesse, l'homme finit par succomber."
"Le Hameau de la montagne est trop exigu. Dans ce petit monde clos, la joie passe come un reflet de lumière, un souffle de vent . La tristesse et l'anxiété rôdent comme l'effluve exaltant, vénéneux d'un filtre maléfique, comme un opium qui enivre et paralyse l'âme des hommes car chacune de ces âmes fragiles , esseulées, barbares, recèle le germe maladif , envieux, secret, inavouable d'un drame terrifiant comme un orage, bien que ses désirs inaltérés s'accompagnent en permanence de terreur."
Maison sur pilotis à Bao Lac
"J'ai raté le coche. Ce train ne reviendra plus jamais. Il n'y a plus que de l'herbe et des feuilles mortes dans la cour de la gare, il n'y a plus de voyageur attendant le train, il n'y a même plus de trace de ce train d'autrefois... Je me suis trompé. Le train de la vie n'offre qu'un seul voyage, il ne revient jamais dans une gare qu'il a quittée..."
"La femme est un monde mystérieux, incompréhensible. Elle se désintéresse de la logique ordinaire et n'écoute que la voix de son cœur. C'est pourquoi l'homme n'arrivera jamais à sa hauteur... La femme est plus clairvoyante que l'homme sans doute justement grâce à ce fond obscur de son âme où l'intelligence s'arrête, où l'intuition érige ses antennes invisibles mais efficaces."
"Non, non...C'est banal et ce ne l'est pas. La curiosité des gens n'est pas aussi innocente que vous le dites. Elle s'accompagne toujours de préjugés, de cruauté. Souvent, elle tue, un homme, un amour. Elle détruit une famille sans risquer le tribunal ou la prison. Elle n'a même pas de visage sur lequel on puisse cracher... Ce qu'on appelle la curiosité, l'opinion, la rumeur de la foule, est une chose invisible et pourtant terrifiante."
"Les infirmières, les sages-femmes, les parents des malades, des femmes attendant d'accoucher vont et viennent, chacun poursuivant ses travaux, ses objectifs. Hoan regarde leurs visages. Il comprend soudain à quel point l'homme est seul. La vie pullule sur terre. La société des hommes ne diffère pas énormément de celle des fourmis, mais les fourmis sont plus heureuses, elles n'éprouvent pas le besoin de partager leurs sentiments."
"S'il en est ainsi, j'ai en main le talisman dont tout le monde rêve. J'ai trouvé un compagnon de route. O mon fils, dépêche toi de grandir. Je créerai moi-même l'Histoire pour toi, tu n'auras à payer aucune dette du passé. Tu m'appartiens totalement, tu seras mon compagnon jusqu'à la mort...."
Mon humble avis
794 pages d'un récit passionnant, troublant, captivant, parfois...dérangeant!
Je découvre cette auteure avec ce livre... que j'avais depuis longtemps ...
Car il m'a fallu du temps avant d'avoir envie de m'envoler dans ce lointain pays. Surement pour les images que j'avais du Vietnam, trop lié aux guerres et à la violence.
Avec un style d'écriture très belle, limpide, poétique dans ses descriptions de la nature, simple et émouvante dans l'histoire de cette femme Miên si attachante, Duong Thu Huong nous y emmène et nous fait partager le poids des coutumes d'autrefois et son impact sur la vie des Hommes et surtout des femmes.
Elle nous transporte dans l'âme de chacun des personnages avec leurs monologues intérieurs.
Et de ce récit émouvant, prenant et tellement dépaysant on ne sort pas indemne!
Avec talent elle nous parle à la fois d'amour et à la fois de la triste vie de ceux qui ne le rencontre pas ou le perde!
Tant de sujets graves y sont traités de façon libre : la politique, la famille, la pauvreté, le désir, la sexualité, la prostitution, les rites, le poids de l'esprit villageois, et l'importance des origines et des destins et des croyances...
On apprend beaucoup la façon de se soigner toutes sortes de problèmes avec les vertus de plantes et l'importance que cela a pour les gens.
J'ai vraiment été transporté dans ce Hameau des montagnes, dans l'enfer du côté sombre des villes et franchement perdue dans cette jungle impitoyable et immense et son impitoyable guerre.
L'auteur est une humaniste qui, avec ce livre, fait passer le message des combats de sa vie : désir de liberté, de justice, de tolérance, de démocratie, des messages forts !
Elle nous rappelle notre désir et l'importance d'aimer et d'être aimé dans notre recherche du bonheur .
Oui, "Terre des oublis, grand roman de l'après-guerre du Viêtnam, est un livre magistral."
Merci aux auteurs et aux sites de ses superbes photos qui illustrent très bien les lieux de ce récit...
Brigitisis
Jim Fergus, né le 23 mars 1950 à Chicago, Illinois, est un écrivain américain.
Né de mère française et de père américain, Jim Fergus se passionne dès l'enfance pour la culture Cheyenne alors qu'il visite l'ouest du pays en voiture avec son père pendant l'été.
Ses parents décèdent alors qu'il a 16 ans et il part vivre dans le Colorado où il poursuit ses études.
Il vivra ensuite en Floride où il est professeur de tennis avant de revenir dans le Colorado en 1980.
Il s'installe dans la petite ville de Rand, qui compte treize habitants, pour se consacrer exclusivement à l'écriture.
Il publie en tant que journaliste de nombreux articles, essais ou interviews dans la presse magazine et collabore à des journaux.
Son premier livre, "Espaces sauvages" ("A Hunter's Road"), mémoire de voyage et de sport, paraît en 1992.
Son premier roman, "Mille femmes blanches" ("One Thousand White Women"), l'histoire de femmes blanches livrées aux Indiens par le gouvernement américain pour partager leur vie, est publié aux États-Unis en 1998 et rencontre le succès.
Il a sillonné seul avec ses chiens le Middle West, pendant plusieurs mois, sur les pistes des Cheyennes, afin d'écrire ce livre.
En 1999, il publie "Mon Amérique" ("The Sporting Road"), où il raconte six années de "pérégrinations par monts et par vaux" à travers les États-Unis.
Son second roman "La fille sauvage" ("The Wild Girl", 2005) raconte cette fois l'histoire d'une Apache enlevée à sa tribu en 1932.
Avec son roman "Marie-Blanche" (2011), Jim Fergus dévoile l'histoire de sa propre famille à travers celles de sa mère et de sa grand-mère et son ascendance française par les femmes issues de la famille Trumet de Fontarce.
Il a ensuite publié "Chrysis" ("The Memory of love", 2013), l'histoire (authentique) d'une jeune peintre Gabrielle Jungbluth dans le Montparnasse des années vingt.
En 2016, il publie "La vengeance des mères" ("The Vengeance of Mothers"), qui fait suite au premier ouvrage de l'auteur, "Mille femmes blanches", paru dix-huit ans plus tôt. Avec "Les Amazones" (2019), Jim Fergus achève la trilogie.
L'histoire :
Après Mille femmes blanches (paru aux Éditions A Vue d'œil en juin 2001), Jim Fergus confirme son exceptionnel talent de conteur en nous livrant ici le destin bouleversant d'une héroïne hors du commun : La fille sauvage.
Sierra Madre, 1932: capturée par un chasseur de pumas, une jeune Indienne, la niña bronca, est livrée en spectacle aux curieux dans une sordide geôle mexicaine.
Elle appartient à l'une des dernières tribus apaches qui, ayant refusé de pactiser avec les Blancs, vivent à l'état "sauvage" dans les montagnes.
Un jeune photographe, Ned Giles, et la niña bronca vont devenir les héros d'une épopée mouvementée et meurtrière, doublée d'une merveilleuse histoire d'amour à l'issue improbable.
Pour cette fresque épique et romantique, Jim Fergus s'inspire des faits tragiques et dissimulés de l'histoire de l'Ouest : la niña bronca a réellement existé, de même que la Grande expédition apache, ligue de « gentlemens » fortunés qui, au nom de la défense de l'Amérique, sont allés aveuglément « massacrer de l'Indien ».
Hymne à la culture indienne, qu'une « civilisation » s'acharne à anéantir, mais aussi magnifique portrait de femme, La Fille sauvage est un roman captivant.
La Fille sauvage est le deuxième roman de Jim Fergus.
Le premier, Mille femmes blanches (le cherche midi), s'est vendu en France à plus de 400 000 exemplaires, toutes éditions confondues.
Épigraphe
"Des communautés peuvent-elles se comprendre lorsque leurs interprétations de la condition humaine se contredisent à tous points de vue ?
Une culture donnée peut-elle parler d'une autre dans ses termes à elle,
sans se croire obligée de se l'approprier brutalement,
sans lui renvoyer son image en le refusant tout bonnement ? 〈...〉
Saurons-nous jamais échapper à nos ilots de province
et naviguer d'un monde à l'autre ?"
Paul B. Armstrong
"Au déclin de la Terre, l'eau commencera à s'épuiser.
Les pluies cesseront de tomber et il ne restera que trois sources.
L'eau sera endiguée, les gens viendront de partout et se battront pour elle.
Et ils s'entre-tueront jusqu'à n'être qu'une poignée.
Dans le monde qui suivra, les Blancs seront les Indiens,
et les Indiens seront blancs."
Morris Opler, "La Fin du monde"
Extraits :
"La mémoire est l’instrument le plus imparfait qui soit ; le souvenir se transforme aisément en révision ; l’âge et la distance le ternissent, faisant le jeu du chagrin, de la déception et de l’orgueil. Et l’espoir entêtant de transformer le passé, de l’habiller à notre guise, sera toujours contrarié. Voilà pourquoi une mémoire d’homme est, par définition, suspecte. En revanche, une photographie ne ment jamais.
C’est la raison pour laquelle, je pense, cette forme d’expression m’a attiré au départ. Ma propre mémoire est avant tout visuelle. D'année en année, de décennie en décennie, ma vie s'est définie par des images, des centaines de milliers de prises de vue couvrant le demi-siècle échu. Je suis incapable de dire, pour la plupart, ce qu'elles sont devenues. Cela n'a plus guère d'importance ; je n'ai pas besoin de les regarder pour accéder au souvenir ; mon esprit les a gardées bien vivantes. Leur lumière, leur composition, l'expression unique d'un visage, le mouvement d'un paysage, la vérité nue d'une pièce vide, ou le soleil éclaboussant l'embrasure d'une porte - ni vraiment ouverte, ni totalement fermée -, tout cela ne m'a jamais quitté.
Fermant les yeux, je revois parfaitement une fille brune, jeune comme moi, dévalant un ravin vers le lit asséché d'une rivière. Elle est tout à la fois frêle et forte et farouche, sa peau à une teinte de châtaigne, ses cheveux sont noirs et drus comme la crinière d'un cheval. Je veux la figer dans le viseur de mon appareil, mais elle a la mobilité des rêves et elle refuse que je la prenne. Bien des gens retiennent d'une photo son caractère figé, arrêté dans le temps et l'espace. C'est une illusion. L'image photographique incarne un moment spécifique entre ce qui vient d'être et ce qui suit aussitôt, c'est un court instant de vie qui circule sans arrêt entre le passé et l'avenir."
"L'imminence de la mort ne m'empêche pas d'entendre continuellement le ressort de l'obturateur, de voir mes vieilles photos défiler mentalement comme un diaporama. Bien au contraire. On dit souvent qu'à la fin de notre vie on ne sait plus si on a pris ses comprimes cinq minutes plus tôt, mais on se souvient avec une netteté éclatante de ce qui s'est passé il y a soixante ou soixante-dix ans. C'est d'une vérité affligeante."
"Je crois également que notre caractère prend forme à un âge très précoce, et que, même si les circonstances affectent profondément le cours de notre existence, nous restons fidèles à notre nature profonde. Quoi que nous essayions - bilans de compétence, perfectionnements divers, neuroleptiques et thérapies -, nous restons finalement à peu près la même personne."
"Après la mort de maman et de papa, pendant les mois où j'ai vécu à la maison, rassuré finalement par leurs affaires et leurs odeurs, j'ai dû finir par croire qu'ils allaient revenir. Et il a fallu que je m'en aille, que je parcoure les routes pendant ces quelques semaines pour comprendre réellement que je ne les verrai plus."
Sierra Madre
"Cela fait plus de deux mois que j'ai quitté Chicago, et maintenant que je suis arrivé, j'ai l'impression de n'avoir jamais été aussi seul et mélancolique de toute ma vie. Le désert que je viens de traverser, sur des centaines de kilomètres, m'a paru sauvage et hostile. Je suis un étranger en pays inconnu. Plus loin au sud, derrière la frontière du Mexique, j'aperçois les sommets dentelés de la Sierra Madre, qui s'élèvent, monstrueux, au-dessus de la plaine. Sous cette lumière de fin d'après-midi, ces montagnes n'ont pas les allures romantiques que j'aurais imaginées ; elles ont l'air revêche, rocailleux, repoussant...
J'ai peur. Voilà, c'est dit. Je pense même faire demi-tour et à revenir à mon point de départ. Mais tout ce qui m'était cher a maintenant disparu...mes parents, la maison, ma chambre. Plus rien ne m'attend là-bas."
"Parce que c'est ça, leur truc, ils massacrent les barbares, ils leur volent leurs terres et ils mettent les survivants en prison. Alors après, pour leur peine, ils leur donnent des médailles périmées."
"L'épreuve que je garde ici, dont le tirage est impeccable, révèle la vérité nue, celle dont seul l'appareil photo peut témoigner. En la regardant, je revois la gamine avec plus de netteté, plus d'acuité que ce matin, alors qu'elle était là devant moi en chair et en os. Comme si la profondeur de l'image, sa définition, ou simplement l'objectif et l'éclairage, renforçaient la réalité de la scène : la niña bronca, pauvre petite créature affamée, lovée en position fœtale sur les dalles en pierre d’une cellule mexicaine, son corps nu traversé par l’ombre des barreaux qui dessine sur elle l’uniforme d’un forçat. Je n'arrive pas à la chasser de mon esprit ; quand je ferme les yeux, son image continue de me hanter. Je dois comprendre qu'elle va mourir ainsi, que la chambre noire ne peut rien faire pour elle, sinon garder une trace de l'horrible vérité. Le docteur lui donne cinq jours à vivre si elle refuse toujours de boire et de s'alimenter. À quoi bon une photographie si elle ne peut sauver une vie ? Et à quoi bon la vérité ?"
"Big Wade prétend que, contrairement au photographe, l'appareil ne peut pas mentir. Que celui qui s'en sert n'a qu'une seule responsabilité : la vérité."
"Je lui ai demandé comment il faisait pour se repérer aussi bien sans carte, et il m'a répondu, le doigt sur la poitrine : "La carte, nous l'avons tous dans le cœur, nous. Les cartes en papier, c'est bon pour l'Œil-Blanc."
"Une curieuse chose se produisit. Épuisés comme nous l'étions par les épreuves de la journée, par ce pays étrange, par l'incertitude terrifiante de notre situation, nous nous sommes pourtant laissés prendre, hypnotiser par l'atmosphère singulière du lieu, par la musique et ces gestes arythmiques. Le martèlement des tambours s'est frayé un chemin vers un être primitif, à l'intérieur de nous, qui, d'instinct, a trouvé les bons pas, et la danse nous a dévorés. Margaret affirme qu'elle est la première forme de communication humaine, d'art et de spectacle. Elle dit que, dès la formation de l'espèce, l'homo sapiens a dansé pour célébrer la guerre, l'amour, avec un éventail de fête entre les deux ; qu'étant la seule activité commune à nos cultures, elle est universelle."
https://www.telereplay.fr/emission/438211/Mexique_Sauvage.html
"Le soleil s'est levé avant que la lune se couche, deux globes énormes jumelés de part et d'autre de l'horizon. Le cœur serré, je repensais à la niña, sa vive odeur d'argile, sa peau brune, ses bras et ses jambes lisses, ses yeux impénétrables, ses mouvements d'ange sauvage. J'essayai de la revoir avec clarté, comme on fait le point avec un objectif, mais je n'y arrivai pas. Je compris que, non seulement nous n'habitions pas la même Terre, mais que nous ne pouvions pas non plus vivre l'un chez l'autre; elle était dans mon monde lovée en position fœtale, prête à se laisser mourir, et j'étais dans le sien lapidé à l'aurore par des femmes barbares."
"Intéressant ce que tu écris, petit frère, mais je suis navrée de te dire que tu manques de discernement à bien des propos. Pour commencer, tu ne sais absolument rien des femmes - que ce soit, la niña bronca ou n'importe quelle autre. Existe-t-il un homme qui fasse exception à la règle ? Certainement pas un freluquet de dix-sept ans."
"La plupart des aborigènes manifestent d'ailleurs un respect empreint de superstition à l'égard de tout ce qui est écrit. leur culture ne leur proposant rien d'équivalent, ils ont tendance à attribuer des propriétés magiques aux livres et à ceux qui les font. C'est l'une des raisons pour lesquelles les missionnaires n'ont jamais eu du mal à fourguer la Bible aux populations indigènes, facilement impressionnées par des histoires et des vies capables d'exister dans la reliure de l'imprimé."
"Vous arrivez chez nous , Œil-Blanc, avec vos armées, vos fusils, vos canons. Vous nous volez nos terres, vous massacrez tous les Indiens qui encombrent votre route et vous parquez ce qui reste dans les réserves. Et ensuite vous nous demandez de nous battre loyalement?
"Ma propre race, tout comme les Mexicains, assassine les Indiens depuis des siècles. Combien de bébés indiens, par exemple, ont ils été massacrés par nos soldats ? Seules les atrocités des rebelles sont qualifiées de crimes. Alors que celles des conquérants, ceux qui écrivent les livres d'histoire, sont reconnues comme nécessaires, héroïques même. Pire, elles illustrent une prétendue volonté divine. Quelle différence y a-t-il, en fin de compte, entre les soi-disant civilisés et les barbares ?"
"J'eus l'étrange sentiment que nous étions ses ultimes habitants, que tous les autres étaient morts sur une piste, récurés par le charognards ; qu'il ne restait que nous, derniers devenus premiers ; Adam et Eve dans le jardin d'Eden ; une jeune indienne, un garçon blanc. Il suffisait de rester ici, de produire une nouvelle race d'hommes, la nôtre. Et on tâcherait de faire mieux, cette fois.
Mais forcément, quelqu'un arriverait pour s'en prendre à nos maigres biens, à notre terre, notre foyer, et il faudrait les défendre par nous-mêmes ; ce serait à qui tuerait l'autre le premier, ça n'aurait pas de fin et toutes les guerres recommenceraient."
"Je craignais de ne jamais te retrouver. Je me voyais condamnée à cette vie. Je le suis peut-être, d'ailleurs. Mais j'ai appris que je peux survivre à beaucoup de choses. Tu sais ce qu'il y a de plus terrifiant pour moi, Neddy ? C'est notre capacité à endurer n'importe quoi, juste pour rester vivants. Cette foutue faculté d'adaptation. Merde, je vais bientôt avoir mon doctorat, je suis une femme et j'ai travaillé. Et, au bout d'une semaine, je trouve ça presque normal de vivre avec ces gens, de leur servir d'esclave. Parce que ça pourrait être bien pire, tu sais. Ils ne me traitent pas si mal que ça... Il y a même des moments où je les remercierais, de ne pas être plus durs, de me laisser en vie. Tu comprends ce que j'essaie de te dire ?"
La Sierra Madre
Mon humble avis :
341 pages d'un récit captivant avec ce troisième livre de Jim Fergus.
L'auteur passionné par l'histoire des Indiens d'Amérique s'inspire d'un fait réel d'époque mais dissimulé de l'histoire de l'Ouest, pour nous entraîner en 1932, au coeur de la Sierra Madre au moment des guerres opposant les Apaches d'un côté et les Mexicains et Américains de l'autre.
Terrible époque quand les peuples indiens ont été décimés, poursuivis, massacrés, trahis avec de fausses promesses aux fins de récupérer leurs terres.
Bien sûr, l'auteur ne peut nous éviter les scènes de violences puisque la violence engendre la violence !
Attaqué, il faut bien se défendre ! Et nous savons hélas combien l'Homme peut être cruel, abject et répugnant!...
Mais quelle belle écriture, que de belles descriptions ! Des paysages grandioses et magnifiques !
Certains personnages sont très attachants... Deux très beaux portraits de femmes pourtant de civilisations différentes, une histoire d'amour, de la tendresse, de l'humour dans le récit et avec son style particulier, on voit combien l'auteur aime la nature et les grands espaces, mais aussi les esprits ouverts et libres .
Depuis toujours, j'ai une fascination pour le peuple indien, leurs croyances, leur culture, leur communion avec la nature, leur respect et leur sagesse pour la beauté qui entoure et je voue une haine farouche pour tout ce qui détruit, tue, assassine au nom du pouvoir ou de la religion!...
J'avais adoré les deux autres livres qui sont d'ailleurs dans ma rubrique :
http://brigitisis.centerblog.net/7376- Mille femmes blanches
http://brigitisis.centerblog.net/7377- La vengeance des mères
Un dépaysement assuré et un très beau moment de lecture qui ne fait que me conforter dans ma fascination pour le peuple indien tant massacré et tellement desservi au cours des siècles par l'histoire officielle.
Merci aux auteurs de ces superbes photos trouvées sur le net, celles des paysages de la Sierra Madre, et celles anciennes d'époque, telles que notre ami Ned Giles, le jeune photographe du roman auraient pu prendre...
Matt Cohen est né à Montréal , fils de Morris Cohen et Beatrice Sohn, et a grandi à Kingston et Ottawa.
Élevé et éduqué à Ottawa, Matt Cohen obtient un baccalauréat ès arts (1964) et une maîtrise ès arts en sciences politiques (1965) à l'Université de Toronto.
Il a étudié l'économie politique à l' Université de Toronto et a enseigné la philosophie politique et la religion à l'Université McMaster à la fin des années 1960 avant de publier son premier roman Korsoniloff en 1969.
Sa fiction a été traduite en allemand, néerlandais, français, grec, espagnol et portugais.
The Spanish Doctor , son plus grand succès international, continue de bien se vendre sur les marchés français et espagnol.
En 1968, quoiqu’il n’ait rien publié encore, il devient écrivain résident au Rochdale College à Toronto et y rencontre Stan Bevington, un des fondateurs de la Coach House Press, et le poète Dennis Lee, un des fondateurs de la House of Anansi Press. Par son amitié avec le philosophe George Grant, Matt Cohen est embauché par l’Université MacMaster comme professeur de religion, poste qu’il quitte de façon prématurée pour se consacrer à l’écriture.
Son plus grand succès critique en tant qu'écrivain a été son dernier roman Elizabeth and After qui a remporté le Prix du Gouverneur général 1999 pour la fiction de langue anglaise quelques semaines seulement avant sa mort.
Il avait été nominé deux fois auparavant, mais n'avait pas gagné, en 1979 pour The Sweet Second Summer of Kitty Malone et en 1997 pour Last Seen .
Membre fondateur de la Writers' Union of Canada , il a siégé au conseil d'administration pendant de nombreuses années et en a été le président en 1986.
Au cours de sa présidence, la Writers' Union a finalement réussi à persuader le gouvernement du Canada de former une commission et de établir un programme de droit de prêt public .
Il a également siégé au Toronto Arts Council en tant que président de la division littéraire et a pu obtenir un financement accru pour les écrivains.
En reconnaissance de ce travail, il a reçu un Toronto Arts Award et le Harbourfront Prize.
Il a également publié un certain nombre de livres pour enfants sous le pseudonyme de Teddy Jam.
La paternité de Cohen des livres de Teddy Jam n'a été révélée qu'après sa mort. Dr. Kiss , illustré par Joanne Fitzgerald, a remporté le Prix du Gouverneur général en 1991 et Fishing Summer a également été nominé pour un Prix du Gouverneur général pour la littérature jeunesse en 1997, faisant de Cohen l'un des rares écrivains à avoir été nominé pour les Prix du Gouverneur général. dans deux catégories différentes la même année.
Il s'est marié trois fois.
Cohen est décédé chez lui à Toronto après une bataille contre le cancer du poumon .
Son dernier livre de nouvelles, Getting Lucky , et son dernier titre Teddy Jam, The Kid's Line , ont été publiés à titre posthume en 2001.
Un prix littéraire canadien, le Matt Cohen Award , est décerné à la mémoire de Cohen par le Writers' Trust. du Canada .
Une adaptation cinématographique de son roman Emotional Arithmetic de 1990 a été produite par Triptych films avec Max von Sydow , Christopher Plummer , Gabriel Byrne et Susan Sarandon .
C'était le gala de clôture du Festival international du film de Toronto 2007 .
Œuvres traduites en français :
Le médecin de Tolède, 1986
Nadine, 1990
Freud à Paris, 1990
Les mémoires barbelées, 1993
Élizabeth et après, 2000
L'histoire :
On imagine assez bien Woody Allen dans le rôle de Carl McKelvey, héros calamiteux mais parfaitement émouvant de cette chronique désenchantée.
Carl revient chez lui, à West Gull, une petite bourgade de l'Ontario, après trois ans d'absence : divorcé, plein de bonnes intentions (il va enfin pouvoir s'occuper de sa fille), mais tourmenté comme jamais par de méchants souvenirs - et par quelques remords.
Pas facile d'oublier.
Pas facile non plus de se faire oublier : chacun à West Gull croit savoir à quoi s'en tenir dès qu'il est question de Carl - son art de se mettre les gens à dos, le don qu'il a pour se fourrer toujours dans des situations inextricables.
On se méfie de lui, et lui a vite fait de se réabonner à toutes les guignes.
Difficile d'habiter cette planète, où tout est perpétuellement à recommencer - et où il est si tentant de céder au pire.
Surtout quand on vient après Elizabeth... et qu'il faut bien en prendre son parti.
Épigraphe
"Toutes les familles heureuses se ressemblent,
mais chaque famille malheureuse a sa propre façon de l'être."
Léon Tolstoï
Extraits :
"Il avait su que le retour serait difficile mais ne s'était pas attendu à ce que cela suscitait en lui : la honte du gamin-pris-en-flagrant-délit, en même temps qu'une distance qu'il n'avait jamais connue, un second moi qui observait la scène avec calme."
"En tout cas, quel que fût le "je" qui prit la parole, ces années avaient été rudement longues, vraiment. Plus le temps passait, et plus ils se sentait largué et à la dérive, incapable de se souvenir d'avoir jamais aperçu le rivage, incapable de se remémorer si même le rivage existait ou si le souvenir de la terre n'était qu'une pure invention destinée à fournir une assise géographique à sa solitude."
Gull Lake
"C'était l'angle de la lumière. Son visage fermé. Une pause soudaine dans la musique. Ses yeux au repos, comme avant, quand elle dormait. Du temps où ils étaient jeunes mariés et qu'ils habitaient un appartement en ville, juste au-dessus de chez le coiffeur, il avait coutume de se réveiller exprès pour ça : pour voir Chrissy endormie, le visage de Christie assoupie à la lueur de réverbère qui entrait par la fenêtre. Effacées la violence et l'appétence typiques du jour, laissant place à la douleur, à la vulnérabilité et à l'absence. Comme si, pendant son sommeil elle lui confiait le soin de son corps : tiens, prends ça et garde-le- moi jusqu'à mon retour. Et il s'exécutait. Jusqu'à ce que , lui aussi, il s'assoupît. Sachant néanmoins qu'il ne l'avait pas suivie là où elle se trouvait ; il était enfermé dans sa propre peau, prêt à se mettre sur le qui-vive au moindre bruit."
"La semaine suivante, à la faveur de recherches sur un tout autre sujet, Adam tomba sur un article du New England Journal of Medicine qui analysait le sentiment amoureux en termes d'événements chimique. La vue de celui ou de celle qui va devenir l'être aimé cause, semble-t-il, certaines réactions chimiques et hormonales produisant de nouvelles substances qui génèrent ce que les gens appellent «l'amour» . Ce fluide d'amour irrigue des cellules cérébrales vulnérables et cruciales, stimulant des trajets nerveux et des synapses qui répéteront le processus chaque fois qu'apparaîtra le bien-aimé ou que son nom sera prononcé. En l'absence d'un renouvellement de ce fluide d'amour, le cru d'origine survit en moyenne deux ans. À moins, bien sûr, que dans certaines circonstances particulières et encore imparfaitement connues, une obsession ne se développe. Dans ces cas-là, prévenait la troïka d'éminents chercheurs, il est possible qu'apparaissent des symptômes tels qu'une conduite criminelle ou des épisodes psychotiques."
"Les mystères commencent avec le corps mais, parfois, ce mystère n'est pas la mort mais l'amour. Il y a tant à aimer. Les chats. Les grains de poussière qui dansent dans la lumière. Les couleurs. Des cascades inattendues. Et, bien sûr, le corps. La tiédeur de la peau sur les draps frais. Le bourdonnement discret du sang, la nuit. La chaleur de l'été qui sourd à travers la mousse humide. L'odeur brute d'un chêne éclaté en hiver. Un coup de fil d'une voix dont on se languit depuis longtemps. Tellement de choses à aimer que la vie devrait être faite d'amour ; tellement de façons d'aimer que toutes les histoires devraient être des romans d'amour."
"Un des avantages de la lecture de Shakespeare – et même de Tolstoï –, c'est que l'on y apprend que les personnages sont voués à agir selon leur nature.
Agir selon sa nature. Accepter et comprendre la situation que le destin vous a imposée. Voilà ce qu'il devait faire."
long gull Lake
Mon humble avis
Avec ce roman nous nous expatrions aux Usa, en Ontario, dans une petite bourgade et le temps de l'histoire nous nous dépaysons en partageant la vie et les histoires de vie de plusieurs personnages, dont certains sont attachants...
Des réflexions sur la vie, sur le couple, sur l'amour, sur la séparation, l'usure, la violence dans un couple, la vie qui passe, l'ambition, le destin qu'on ne maîtrise pas, la vieillesse...Tant de sujets abordés avec justesse et pudeur...
Un superbe style et une très belle écriture pour de très belles descriptions aussi bien de la nature que sur la psychologie des personnages...
Un beau moment de lecture.
Photos trouvées sur le net. Merci à leurs créateurs.